Le règne de l’homme-tourtière
Il fut un temps où les hommes riches et puissants prenaient sous leur aile des artistes qu'ils appréciaient afin de les aider dans leur carrière.
J'imagine que si j'avais vécu à cette époque, j'aurais ressenti une espèce d'amertume par rapport à une telle forme de financement. Genre: "Faque t'as beau écrire les meilleures tounes du monde, si le roi de la place aime juste pas ce que tu fais, ben tu vas sécher pour le restant de ta vie à jouer dans ton salon pis au bord des feux de camp."
Quelques siècles plus tard, le mécénat existe toujours, mais sous une tout autre forme. Disons que l'approche a beaucoup changé. Par exemple, aux États-Unis, c'est en moyenne 2,5 milliards de dollars qui sont injectés dans le milieu culturel par de grandes entreprises et d'importants conglomérats financiers.
J'aimerais bien vous dire que c'est uniquement par amour de l'art que le privé donne de l'argent au milieu culturel, mais malheureusement, nous ne vivons toujours pas dans un monde digne de celui des Câlinours. Eh non… la vérité, c'est que si le privé file du fric aux artistes, c'est beaucoup plus une question d'image publique et d'avantages fiscaux qu'une histoire de passion momentanée pour la danse actuelle ou le théâtre expérimental.
À ma connaissance, le phénomène est plutôt inexistant ici, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. On voit fréquemment la grosse épicerie du coin se payer une commandite lors d'un événement culturel, mais on est encore bien loin du mécénat proprement dit.
En fait, si une telle forme d'aide n'est pas présente, c'est avant tout parce qu'elle ne fait pas partie de notre culture. On le sait, au Québec, c'est souvent l'État qui pense à tout pour nous. Dès votre naissance, il dira à vos parents s'il vaut mieux vous allaiter ou vous nourrir au biberon. Ce sera selon l'époque. Et quand vous vous apprêterez à mourir, c'est encore lui qui décidera de votre sort. Bénéficierez-vous de soins palliatifs en présence d'intervenants attentionnés ou quitterez-vous ce monde dans une chambre non privée tout en vous délectant de l'exquise trame sonore d'un pavillon en construction non loin de là? Ce sera selon les humeurs de l'État.
Et entre votre naissance et votre départ, l'État aura son gros mot à dire dans la musique que vous écouterez, les films que vous verrez et les pièces de théâtre auxquelles vous pourrez assister.
C'est là qu'entre en jeu le mécénat "made in Canada": les subventions.
Voilà donc que l'artiste souhaitant avoir de l'aide afin de se consacrer entièrement à son ouvre devra maîtriser un nouvel art: le remplissage de paperasse gouvernementale.
Au programme: vulgariser, synthétiser, développer, comparer et/ou contextualiser son projet de création jusqu'à plus soif. Réunir des ouvres antérieures, des documents pas possibles, une photo de vous lors de votre 19 645e jour d'existence, vos empreintes digitales dans neuf couleurs différentes ne débutant pas par la lettre "b" et une photocopie du crayon qui représente le mieux votre parcours artistique.
Ceux qui se sont déjà prêtés au jeu en savent quelque chose: remplir une demande de subvention s'apparente trop souvent à un périple existentialiste dans le désert sous l'influence de drogues chamaniques. L'exercice frôle le surréalisme, en plus de freiner toute spontanéité dans le processus créatif.
D'ailleurs, Saguenay, Capitale culturelle du Canada 2010 nous aura offert un exemple plutôt savoureux allant en ce sens.
Ici, je fais notamment référence au spectacle-événement Milane, fille de l'eau. Dans une entrevue accordée au journal Le Quotidien, la directrice artistique de l'ensemble folklorique Les Farandoles, Ariane Blackburn, affirmait candidement qu'au moment où on l'avait informée que son projet avait été sélectionné, elle avait dû ressortir son document afin de se rappeler ce en quoi devait consister le spectacle.
On s'entend qu'on est loin d'À la recherche du temps perdu de Proust.
Non pas que j'aie envie de lever le nez sur ce spectacle à grand déploiement, mais je ne peux m'empêcher de grincer des dents lorsque j'apprends que les créateurs n'ont pas eu le choix d'intégrer 20 % de contenu traitant du peuple fondateur et des bâtisseurs (ne manquait plus qu'un homme-tourtière), car il s'agissait d'une figure imposée par Saguenay, Capitale culturelle du Canada 2010 et son enivrant thème du chemin des mémoires.
J'imagine que la venue des Grandes Gueules au Gala de la Capitale allait aussi dans ce sens…
Bref, quand la tapisserie et les divans sont laids, ce ne sont pas vraiment les décorateurs qui sont à blâmer. C'est plutôt celui qui les paie qui n'a juste pas de goût.
Seriez-vous un tantinet amer… Monsieur Martel?
Ah, les subventions! Cela aide-t-il à créer quoi que ce soit? Moi, j’en doute. Depuis l’âge insignifiant de quinze ans, et peut-être même avant cela, je crée. J’écris. Des textes et des pièces de théâtre. Des scénarios. Des bandes dessinées avec des dessinateurs incroyables. Et des chansons.
Mais ce n’est pas de la sorte que je suis parvenu à « gagner ma vie », comme on dit.
Cela a plutôt été en tant que chroniqueur spécialisé en questions financières (plusieurs centaines d’articles publiés), notamment en assurances et besoins de retraite, et à titre de directeur des communications pour des associations et compagnies.
Malgré tout, si on me demande qui je suis, je réponds invariablement que je suis un auteur-compositeur musicien membre de Socan depuis 1972.
Au diable les subventions. Cela ne changera jamais qu’un artiste sera toujours un artiste. Poches vides ou poches pleines.
LE BEURRE ET L’ARGENT DU BEURRE…
Réglons une première chose. À part les spectacles à grands
déploiements, il y a eu aussi des projets qui se sont réalisés dans le cadre de la fameuse nomination de Capitale culturelle 2010 à Saguenay. Et je suis de celle qui a questionné le fait que des projets ont été « subventionnés » dans ce cadre, sans véritables appels d’offres.
Ceux et celles qui en ont bénéficié, ne seront pas celles et ceux qui
monteront aux barricades. Les artistes, même critiques et conscientiser, ont aussi besoin de mettre du beurre sur leur pain et pas seulement cette année, mais pour les années à venir. Pas évident de refuser une subvention bonbon.
Le mécénat a existé et existe encore. Demandez à Guy
Blackburn, artiste en art visuel, qui œuvre pour une minorité avertie et
surtout pas pour monsieur et madame tout le monde. Mais les écoles s’achètent par lui, à un prix dérisoire, auprès d’une commission scolaire, pour loger des ateliers d’artistes et des salles d’exposition, même si ces lieux sont fréquentés par les pairs et le milieu artistique et très peu par la population en générale. De mon point de vue, une vente à bas prix par une commission scolaire, aidé d’une municipalité, de subventions gouvernementales et de campagnes d’autofinancement, bénéficie de plus que l’apport du mécénat, même si celui-ci peut être présent. La salle Murdock, au centre des arts à Chicoutimi, est né de l’apport du mécénat. Son nom en dit long… Le bénévolat peu comptabilisé dans les organismes culturels, est une forme d’aide non négligeable. Sans cet apport, il y a bien des organismes qui n’y arriveraient pas.
Dans notre petit milieu, ce n’est pas le mécénat qui fait
défaut, mais le fait que nous sommes gérés par des «tinamis » et ça ne
concerne pas que le milieu politique. Nous sommes avant tout, notre propre ennemi.
Le milieu artistique, culturel et leurs pairs ou « partenaires » a aussi
un devoir de revoir son sens de la solidarité pour faire et garder sa place. « L’ennemi »
ou celui ou celle qui nous abandonne, n’est pas toujours celui ou celle qui est visé officiellement.
À chacun de faire sa part et sans pour autant jouer le jeu
de la victime…
Ceci dit, j’admire le travail d’artiste et d’homme d’affaire culturel de Guy Blackburn. Il ne s’est pas enfargé dans les fleurs du tapis pour plaire aux « tinamis », afin de réaiser ses projets qui ont aussi servis et qui serviront encore pour le milieu des arts visuels
@Claude Perrier: On apprend de plus en plus à se connaître! Pour ma part, dans ma vie parallèle, je fais de l’art aussi et je n’ai jamais bénéficié directement de subventions (Je me trompe, la SODEC a déjà subventionné un faux documentaire que j’ai co-écrit sur Voïvod mais si ce n’avait été que de moi, la paperasse serait restée vide). C’est juste que je fais ça plus pour le fun que d’autres choses.
Oui, c’est arrivé qu’en participant à certains événements subventionnés, quelques dollars me soient tombés dans les poches mais c’est plutôt anecdotique.
@Carole Girard: Je connais monsieur Blackburn par la bande mais seulement pour les ateliers TouTou, je salue grandement cette initiative dont une grande partie de la relève artistique de Chicoutimi a pu profiter.
L’homme et aussi la femme tourtière, c’est celle de ma génération tampon, fait de différentes couches à assumer. Celle qui doit veiller sur mes parents, les enfants et les petits enfants, sans compter le fait qu’il faille aussi alimenter le couple et moi en bout de ligne. Je cherche encore la société de loisirs dont il était question jadis.
Je connais la recette pour faire la tourtière, mais je cherche encore la recette qui fera d’un homme et d’une femme, la recette de vie pour un accomplissement, sans amertume, nostalgie et sans frustrations.
Alors monsieur Joël, comme rédacteur en chef du VOIR Saguenay, vous pourrez sortir de vos souliers et des souliers de ceux et celles qui vous sont familiers. Vous pourrez écrire au-delà de ce que vous connaissez par la « bande ». C’est une sacré bonne idée de connaître ce qui vient avant, pour commenter le présent et ce qui viendra aussi après.
Le règne de l’homme et la de femme tourtière, c’est les « vieux » qui jouent le rôle de pâte et la génération X Y qui sont protégé par la pâte. Bon appétit!
Si la famille Desmarais n’avait pas pris sous son aile Yannick Nézet-Séguin, il ne serait probablement pas au Metropolitan ces jours-ci. Même s.il est évident que la tradition du mécénat au Québec est quelque peu frileuse, éloigner les avantages fiscaux de ces précieux dons seraient un retour en arrière certain.
Il y a deux à Madrid j’ai visité le musée Thiessen, une des plus grandes collections privées en Europe, et à un prix d’entrée moindre que celui du Louvres…
Je veux revenir et aller un peu plus poin sur mon commentaire sur le mécénat.Tout d’abord, je crois qu’il est à peu près temps de décrocher un peu de Capitale Culturelle qui n’était qu’un programme subventionnel de célébration qui n’a tout simplement pas levé, par manque d’enthousiasme des participants et de la direction…
Je travaille sur un projet de film depuis une dizaine d’années et je désire que ce projet soit entièrement financé par le privé, dussé-je mourir avec les papiers gribouillés sur mon torse comme Beethoven. Je refuse de faire des courbettes devant des fonctionnaires de la culture, encroutés et enchaînés par des lois vétustes et poussiéreuses se rattachant beaucoup plus à la sauvegarde qu’à la continuité. Pas de compromis possible…