La théorie du cousin bizarre
Complètement Martel

La théorie du cousin bizarre

 

Le 12 novembre dernier, le Saguenay perdait un de ses plus grands promoteurs en matière de musique rock. Marcel Savard, copropriétaire de la salle de spectacle Le Bunker, quittait ce monde à l'âge de 50 ans.

Lorsque j'ai appris la triste nouvelle, naturellement, c'est pour sa famille ainsi que ses proches que j'ai tout d'abord eu une pensée. La mort a cela de bien particulier, on ne s'y fait jamais. Qu'elle nous surprenne ou qu'elle vienne lentement en nous avertissant, la douleur est toujours au rendez-vous pour ceux et celles qui voient partir les personnes qui leur sont chères.

Enfin, si l'on peut considérer la communauté du rock comme une famille, disons que le 12 novembre, c'est un membre important qu'elle aura perdu.

On le sait, le rock n'a vraiment pas la cote au Saguenay auprès des diffuseurs et des programmateurs de festivals. Pour rester dans les allégories familiales, le rock est en quelque sorte le cousin bizarre qui entretient de curieuses fréquentations. On le trouve super cool, mais on ne se risquera pas à lui organiser son prochain party d'anniversaire car on ne sait pas trop ce que ça donnera comme soirée. On préfère laisser ses chums prendre ça en main et lui envoyer par la poste une carte avec un 20 piastres dedans.

Règle générale, dans bien des domaines d'activité culturelle, qu'il y ait foule ou que ce soit confidentiel, les artistes ont une idée arrêtée du cachet qu'ils recevront en échange de leur travail. Dans le milieu du rock, ce que l'on souhaite dans un premier temps, c'est de ne pas en sortir déficitaire.

On serait porté à vouloir donner le rôle de victimes à ces artistes émergents, mais eux-mêmes refuseraient, les premiers, de se voir accorder un tel titre. En fait, s'il y a quoi que ce soit à blâmer, c'est avant tout un certain désordre, un chaos qui est propre à la scène rock indépendante. On donne des shows quand on peut, advienne que pourra et demain n'existe pas.

Cliché oui, mais plutôt vrai aussi.

Pour poursuivre l'allégorie, disons que si le cousin bizarre allait voir sa famille pour lui demander un peu de soutien, il serait à peu près certain de ne pas avoir à payer la bière et les chips. Faut croire que c'est une question de tempérament.

Ironiquement, à l'image de cet attrait inexplicable qu'entretient la scène rock pour l'autonomie, Marcel Savard a fondé Le Bunker sans aucune aide publique. En gardant en tête que la scène rock indépendante n'a rien d'une poule aux oufs d'or, c'est un risque fou qu'il a pris. Difficile de ne pas y voir une passion et un amour pour le milieu.

En programmant des groupes émergents qui en sont encore à se bâtir un public, Le Bunker fait un pari auquel bien des salles sont purement allergiques. Dans une perspective capitaliste, mieux vaut inviter de gros noms afin d'attirer un maximum de spectateurs. Par son audace, la philosophie de feu Marcel Savard permet aux amateurs de musique émergente d'assister aux gros shows de demain. C'est dire.

Interrogé au sujet du départ précipité de Savard, le musicien Pascal Beaulieu tenait des propos qui allaient justement en ce sens: "Il n'avait pas peur de prendre des risques en présentant des spectacles des plus variés et ce, pour des clientèles souvent jugées dérangeantes ou gênantes par d'autres tenanciers. Marcel est toujours allé de l'avant dans ses projets pour faire plaisir à tout le monde. Il a offert une salle d'envergure sans subventions et sans aide de la Ville (qui lui mettait souvent des bâtons dans les roues) dans cette cité qui place les jeunes et les marginaux à l'index."

De son côté, Moe Sparks du groupe Mordicus (anciennement The Mockin' Birds) a voulu souligner l'admiration que Savard éprouvait pour la scène locale: "J'ai dû jouer une vingtaine de fois pour lui et chaque fois, il nous accueillait comme des rois. Je me souviens qu'à l'ouverture officielle du Bunker, il était tellement fier de me dire qu'il avait ouvert cette salle pour offrir une place décente aux bands de la région."

Heureusement, la scène rock au Saguenay est bien loin d'avoir émis son dernier feedback, même qu'elle semble prendre en maturité. Le cousin bizarre donne plus souvent de ses nouvelles. En effet, la page Facebook Saguenay Rock gagne en popularité et elle permet aux musiciens de faire connaître aux spectateurs potentiels les événements à venir.

Du haut du paradis du rock, je suis certain que Marcel Savard s'en réjouit.