Les règles
J'ai déjà fait de la politique.
Ça avait commencé par une blague et en l'espace de trois jours, je me retrouvais au sein d'une machine électorale où mon nom était subitement devenu synonyme d'espoir et de changement.
Bref, j'ai joué le jeu et, pendant un an, j'ai vécu la vie intrépide de président de cinquième secondaire. Toutefois, j'ai su quelques années plus tard que ma carrière en politique aurait bien pu se terminer le jour du scrutin, et cela, même si j'étais parvenu à séduire plus de 90 % de l'électorat.
On m'a raconté qu'après avoir dépouillé tous les votes, un des membres du comité électoral avait soulevé l'idée de modifier les résultats, et disons que la proposition avait fait un petit bout de chemin…
Il m'arrive parfois de songer à ce qu'il serait advenu de ma vie si cette entorse à la démocratie avait eu lieu. Serais-je devenu physicien ou vendeur de sapins? Dieu seul le sait.
Toutefois, s'il y a une chose dont je suis certain, c'est que, hormis le fait qu'une telle action aurait été de l'ordre de l'antidémocratie pure et simple, l'idée n'était pas si mauvaise. Car, disons-le, ma rivale électorale était sans aucun doute la meilleure candidate. La fille était impliquée dans tous les projets possibles et au fond, tout ce qui lui manquait, c'était trois ou quatre de mes bonnes blagues.
Ce que je trouve fascinant dans cette tranche de pain de fesse de vie, c'est que des étudiants ont eu la chance de bafouer les règles de base de la démocratie, mais ne l'ont pas fait. Pourtant, personne ne l'aurait su, ma rivale aurait certainement fait un super boulot et probablement que ces jeunes d'alors seraient aujourd'hui convaincus d'avoir bien agi, dans l'intérêt de la communauté.
J'ignore quels sont les individus qui ont convaincu le reste du groupe de maintenir les vrais résultats, mais je serais bien curieux de savoir ce qu'ils sont devenus. En fait, j'espère qu'ils ont poursuivi en politique, car à voir l'ordre (ou plutôt le désordre) des choses dans les coulisses du pouvoir, la rigueur semble de plus en plus venir en option.
Je suis le premier à le dire: les règles sont souvent plus chiantes qu'autre chose. Elles nous paraissent sorties d'un passé lointain qui n'a plus rien à voir avec notre réalité, mais n'est-ce pas là le plus beau des appâts afin de sombrer dans le chaos?
On l'oublie très facilement, mais établir des règles, c'est quelque chose.
Si vous en doutez, j'ai un exercice simple à vous suggérer. Regroupez quatre ou cinq personnes autour d'une table et donnez-vous pour défi d'inventer un jeu simple où toutes les règles sont à définir. Du genre: chacun jette les dés à tour de rôle et ceux qui obtiennent un doublé gagnent un point. Je suis prêt à parier qu'après quelques tours de table, après certaines observations, un besoin se fera sentir d'établir une nouvelle règle. Subtilement, ce qui était une ludique partie de dés risque fort de se transformer peu à peu en un horrible casse-tête.
C'est le propre de l'individu, nous aspirons à la justice. Mais même si nos idéaux nous semblent équitables, il est très difficile de saisir globalement tous les enjeux d'une seule problématique.
Donc voilà, les règles sont des balises qui permettent à chacun de tirer son épingle du jeu de la société. Je le répète, on peut se permettre d'en douter dans plusieurs cas, mais bon…
C'est d'ailleurs ce qui m'amène à vous parler de cette fameuse pétition demandant la démission du premier ministre Jean Charest qui circule depuis le 15 novembre. Je ne vous le cacherai pas, je ne l'ai pas signée. Ce n'est pas par cynisme, mais parce que je crois que si problème il y a, celui-ci va bien au-delà de l'homme à qui l'on doit l'inspiration de Libérez-nous des libéraux.
Chaque fois que je me suis risqué à affirmer à un partisan de la pétition que cela ne changerait rien, car John Charest a été élu dans les règles de l'art, on m'a toujours servi le même discours à propos du faible taux de participation aux élections provinciales de 2008. Ironique, lorsqu'on se dit que la popularité médiatique de la pétition tient justement à son taux de participation plutôt impressionnant.
Certes, il est vrai qu'une commission d'enquête publique doit se tenir et il est indéniable qu'un moratoire sur les gaz de schiste s'impose. Toutefois, à quand une réflexion nationale d'envergure sur les mesures à prendre afin d'augmenter le taux de participation de la population au scrutin?
Peut-être suis-je candide, mais il me semble que plus nous serons à jouer le jeu, plus les règles nous prendront vraiment en considération.
Il est évident que tous les enjeux en démocratie se trouvent à l’intérieur. D’ailleurs bon nombre de révolutionnaires ont troqué l’AK-47 contre des veston-cravate. Se dire ouvertement blasé, que le vote ne sert à rien, que tous les politiciens sont des pourris ne sont que quelques arguments populaires et stupides pour alimenter son credo. Il faut être fier de voter et pourquoi pas une loi encourageant la fierté?
Mais est-ce qu’un politicien élu est un politicien qui détient tous les droits? Est-ce qu’à partir du moment où les résultats de vote sont connues, la population n’a plus de pouvoir, ne peut plus s’exprimer sur les agissements du gouvernement? Je ne crois pas que la pétition ait un lien avec l’élection. Elle est un moyen d’expression pour la population. Je crois que la démocratie donne à la base le droit au peuple de dire à son gouvernement élu «Je ne suis pas d’accord avec les décisions que vous prenez pour moi.»