Complètement Martel

Misanthrope de Dollarama

 

Au cours des derniers jours, j'ai découvert que j'étais quelqu'un de très candide. Même que j'irais jusqu'à dire que je suis un être débordant de naïveté. Un peu plus et je me qualifierais de niaiseux.

C'est que tout au long de ma vie, j'ai cru que les vacances avaient pour but de se reposer. Or, j'arrive de ma première semaine de congé professionnel et en toute honnêteté, c'est un gars cerné avec les nerfs en boule qui vous écrit présentement.

Pendant la dizaine de journées où mon habit de rédacteur en chef a dormi dans le garde-robe, Joël Martel n'avait tout simplement plus d'excuses pour mener son heureuse vie d'ermite. Fini, les obligations nébuleuses de journaliste afin de justifier sa non-participation à un souper. Idem pour ces articles fictifs à terminer au plus tôt.

Ici, n'allez surtout pas penser que j'essaie pathétiquement de me la jouer misanthrope de Dollarama. En fait, j'adore faire du social, sauf que je vois ça comme le bacon: si tu en manges trop d'un seul coup, tu te sens pas bien, et si tu en consommes quotidiennement, ça finit par te rattraper. En d'autres mots, je souffre de misanthropie bénigne.

N'eût été les cinq ans où j'ai travaillé dans le public, je ne serais peut-être jamais devenu ainsi. Seulement, quand tu es obligé de côtoyer une panoplie de clients pendant près de 40 heures par semaine, même s'ils sont pour la plupart très sympathiques, un jour ou l'autre, l'indigestion sociale te guette.

Ça commence par un client de temps en temps qui te gâche ta journée à cause de son attitude merdique. Ensuite, tu constates que le gros Yvon qui vient chaque jour n'a pas daigné, ne serait-ce qu'une seule fois dans la dernière année, répondre à tes salutations lorsqu'il se présente au comptoir. Après ça, tu découvres que les récits de Willy, que tu trouvais "ben le fun" au début, se limitent au nombre de quatre et qu'ils forment une boucle infernale que tu devras subir jusqu'à la fin des temps. Et puis vient le moment fatidique où tu suspectes chaque nouvelle tête qui se présente à ton comptoir d'être un potentiel nouveau Yvon ou un clone de Willy. Généralement, rendu là, le mal est fait.

J'ignore si ça vous est déjà arrivé, mais il y a quelques années, alors que je revenais d'une soirée plutôt arrosée, j'étais tombé dans un gros sac de chips Doritos et j'avais eu la brillante idée d'accompagner le tout d'un litre de lait. Je vous épargne les détails et me contente de vous dire que ce qui s'en était suivi avait été digne des plus grands films d'horreur qui soient. Depuis ce temps, je ressens toujours une certaine attirance pour ces croustilles de maïs de forme triangulaire. En revanche, il y a désormais une partie de moi qui s'en méfiera à tout jamais.

Les Doritos et les gens, même combat?

Peut-être pas à ce point-là. Reste que je sais que dans tous les recoins de ce monde, que ce soit dans les dépanneurs, au restaurant ou peut-être dans la maison de votre voisin, il se cache un gros Yvon ou un Willy le radoteux. Plus vous vous mêlerez aux autres, plus vous risquerez d'en rencontrer. Heureusement, les chances que vous ne les remarquiez même pas sont très grandes. Toutefois, pour ma part, mes années d'expérience dans le public ont fait de moi un surhomme en matière de détection de personnalités désagréables.

Croyez-moi, c'est là le superpouvoir le plus inutile qui puisse exister. Non seulement il me rend outrageusement méfiant envers les autres, mais en plus, il exerce un magnétisme hors de l'ordinaire sur les Yvon et les Willy de ce monde. On raconte que les gens qui ont peur des chiens les attirent plus que la moyenne, car ceux-ci se sentent interpellés, d'une certaine façon. J'adhère totalement à cette théorie.

Combien de discussions intéressantes ai-je vu sabotées par l'irruption de chose-bine-qui-veut-à-tout-prix-détourner-la-conversation-à-propos-de-lui-parce-qu'il-est-tellement-quelqu'un-d'unique-et-d'intéressant.

Le pire dans tout ça, c'est que statistiquement, pour une personne désagréable, j'estime en rencontrer au moins 150 que je trouve fascinantes. C'est dire.

Alors voilà. Je sais que les résolutions sont faites pour ne pas être respectées, cependant, qu'est-ce qu'on perd à tenter le coup?

Donc en 2011, je m'engage à me libérer de mon superpouvoir de "bullshit detector". Du moins, je ferai tout en mon possible pour qu'il ne gère pas ma vie sociale. À partir d'aujourd'hui, je mets dans une boîte scellée les spectres du gros Yvon et de Willy-avec-ses-quatre-histoires-en-boucle.

J'ai envie de mieux vous connaître.

Et je retombe en vacances à la fin juillet, donc…