La mononclisation
Complètement Martel

La mononclisation

 

Au moment où vous lirez ces lignes, j'aurai tout juste 31 ans. La magie du hasard aidant, cette édition du Voir sera publiée le jour même de mon anniversaire.

Soit dit en passant, 31 ans, c'est plutôt poche comme âge. Je me souviens encore de l'an passé où, à quelques jours du 13 janvier, je ressentais une certaine fébrilité quant à mon intronisation dans le monde des trentenaires. Cette fois-ci, j'ai comme cette impression d'arriver à un party du jour de l'An quelques minutes après le décompte. Le gros événement, c'était tantôt.

Les choses ont bien changé en un an. J'ai maintenant un boulot respectable, je suis père de famille et, la cerise sur le sundae, j'ai un permis de conduire. Après 14 ans de combat contre la normalité, je suis désormais un citoyen à part entière: je chauffe un char. Finis ces regards éberlués faisant suite à la fameuse question ponctuée d'un certain dédain: "Tu sais pas conduire?" Voilà donc que je me surprends parfois à me dire, tout en regardant un film d'action: "Il faut être un maudit bon conducteur pour faire ça." C'est presque dire qu'il y a un "gars de char" qui sommeillait en moi…

C'est bien beau tout ça, sauf que la réalité finit toujours par me rattraper. Ne devient pas adulte qui le veut bien. Ici, par adulte, j'entends cette façon d'être qui nous est véhiculée chaque jour par la télévision, les magazines ou la radio. Vous savez, ce standard désincarné de la plus pure folie qui puisse exister?

Il faut me croire, dans ma quête utopique de l'authentique passage à la vie adulte, j'ai fait mes devoirs. J'ai tenté de me laisser emporter par les téléromans de fin de soirée, mais à tout coup, je bloque littéralement. Je n'arrive pas à me reconnaître dans les aventures de ces familles tourmentées où les personnages de mon âge habitent dans des maisons neuves et parlent de leur oncle qui doit absolument trouver une solution afin de sauver sa chocolaterie. Ce n'est pas moi. Et surtout, ce ne sont pas les gens qui m'entourent.

Le jour où je verrai un personnage de La promesse mettre sur pause sa game de Grand Theft Auto IV, peut-être que je commencerai à me sentir concerné. Mieux que ça, si jamais un auteur de téléroman intègre la scène suivante dans son ouvre, qu'il m'avertisse, car les chances sont bonnes pour que je devienne un fidèle de son feuilleton: Jean et Thérèse prennent un café ensemble dans leur maison neuve. Jean tente d'amorcer une discussion à propos de la chocolaterie de son oncle Raynald, mais aussitôt, Thérèse coupe court à l'histoire en mentionnant qu'elle a tout vu ça sur Facebook. S'ensuit alors une confession de Jean qui dévoile que sa maison neuve l'a endetté jusqu'à la gorge et qu'il pense tout vendre ça pour se remettre à faire du rock n' roll avec ses vieux chums.

Oui, j'en conviens, j'ai peur de figurer parmi les éternels adolescents. Toutefois, j'ose penser que ce problème à me reconnaître dans le grand miroir de notre société que sont les médias va bien au-delà de mon syndrome de Peter Pan juvénile. En fait, j'aurais tendance à attribuer la majeure partie de la faute à notre culture de masse. À trop vouloir s'adresser au plus grand dénominateur commun, celle-ci se dilue progressivement dans une espèce de bouillie sans saveur.

Heureusement, les artistes émergents et autres marginaux qui créent contre vents et marées nous offrent de la saveur, et ce, en concentré. Autrement dit, ça va du très savoureux au trop salé, mais au moins, ça goûte quelque chose. D'autant plus que ça a de la texture et que ça varie du croustillant au casse-gueule.

En fait, plus j'y pense et plus je crois que le concept d'éternel adolescent est un mythe pur et simple. Comme le dirait l'agent Mulder dans X-Files, la vérité est ailleurs.

Depuis le début des temps, il y a ceux et celles qui gardent leurs yeux d'enfants. Cela étant dit, ils sont bien loin d'être des cons pour autant. Peu importe leur âge, ils conserveront cette capacité de s'émerveiller tout en faisant preuve de jugement. C'est ça, être adulte.

Pour le reste, il y a le mononcle. Assis sur son La-Z-Boy, une petite 50 dans les mains, à regarder le monde se faire du fun dans un party de famille. Il ne dérange personne et il est toujours bien content de faire un lift à quelqu'un. Et la plupart du temps, ce sont les jeunes qui le font voyager.

Tout est une question d'état d'esprit. Rien de moins.

Alors, quel est votre rôle dans le salon de la vie?

Pour ma part, je préfère danser dans le coin avec un abat-jour sur la tête.

On a juste une vie à la fin.