On ne devient pas poète. En fait, on l'est tous à l'origine et un jour, on fait le choix de ne plus l'être.
Peut-être parce que j'aime le goût du risque ou par peur d'oublier le jeune homme que j'ai été autrefois, je traîne depuis une quinzaine d'années une grosse boîte en carton où reposent les plus grands poèmes de mon cru. À chaque déménagement, je m'amuse à ouvrir ladite boîte et pige quelques textes au hasard. Croyez-moi, plus le temps passe et plus ces ouvres gagnent en insignifiance à mes yeux.
N'est pas Jim Morrison qui le veut bien. Car oui, au même titre que plusieurs jeunes poètes de mon temps, mon choix identitaire était basé en grande partie sur un film alambiqué réalisé par le non moins caricatural Oliver Stone. Le futur dans lequel je me voyais en était un d'élégantes défonces et de périples psychédéliques, mystérieux Amérindiens en bobettes dans le désert inclus.
Bien entendu, si le Joël de cette époque avait l'occasion de me rencontrer aujourd'hui, probablement qu'il me trouverait un peu désolant à première vue. Je l'imagine penser à voix haute: "C'est pas possible! Je vais devenir quelqu'un d'aussi commun que ça?" Pourtant, je n'aurais pas honte de rencontrer le jeune Joël. Non pas que je croie être un parfait exemple de réussite, mais je ressens cette fierté d'être arrivé à devenir presque moi-même. Et en matière de quête d'authenticité, je ne vous le cacherai pas, je revenais de bien loin.
Je revois le film de cette odyssée identitaire et je préfère en rire qu'en pleurer à chaudes larmes. J'ai vainement tenté d'être tout le monde à tour de rôle. J'ai cru un moment avoir la folie et le courage d'Andy Kaufman. J'ai même eu la prétention de carburer à l'humanité et à la fougue de Bukowski. J'ai senti couler dans mes veines la désinvolture passionnée de Johnny Thunders sans toutefois user de ses artifices opiacés.
Quand je vous dis tout le monde, je n'exagère quasiment pas.
Et puis, comme dans une production fleur bleue hollywoodienne, l'amour m'a transformé. Vous savez, quand ça fait près de huit ans que vous partagez votre vie avec la même personne, les masques tombent un par un et votre être finit un jour ou l'autre par surgir. À force de camoufler vos larmes, l'échec vous guette inévitablement. Le soir fatidique arrivera où, alors que vous regarderez Toy Story 3 avec votre conjointe à vos côtés, vous ne serez plus en mesure de contenir les bulles d'eau que vous avez dans les yeux, et là, on pourra repasser en ce qui concerne le mythe du rockeur insensible.
Le problème, c'est que nous aimerions être comme dans un film. Dans le sens où tout deviendrait une question de montage et que même nos pires travers pourraient enfin trouver un sens. Nous voudrions que lorsque nous agissons en chicken, les autres voient immédiatement après qu'à tel âge, nous avons vécu une expérience X qui explique le pourquoi de cette faiblesse. Tout ça avec une belle musique de violons dégoulinant d'émotions qui ferait dire aux spectateurs de notre vie que dans le fond, on est tellement quelqu'un de bien.
Mais bon, la vie ressemble davantage à un roman. Il faut souvent lire entre les lignes et, parfois, la vérité ne se trouve que dans les dernières pages. Il arrive même qu'à la toute fin, tout soit en clair-obscur et que nous ayons à tirer nos propres réponses et conclusions.
Je connais peu mon père, mais il m'est toujours apparu comme quelqu'un de profondément cynique. Avec comme principe de vie que "demain n'existe pas", j'imagine que vous voyez un peu le portrait. Or, il se trouve qu'avant ce dernier Noël, le gars faisait une espèce d'indigestion depuis deux jours, alors il a fini par se résoudre à se rendre à l'hôpital en se tapant une promenade, la clope au bec. Aussitôt arrivé à l'urgence, les infirmières l'ont pris d'assaut et lui ont annoncé qu'il venait d'encaisser un arrêt cardiaque pendant sa balade. Je le revois encore dans son lit d'hôpital, avec son regard de vieux loup de mer, m'affirmer que cet incident l'avait amené à commencer à se demander s'il y avait quelque chose après la vie. C'est un sacré choc de voir quelqu'un se dévoiler sous son vrai jour après tant d'années, dans toute sa fragilité. Et ça l'est d'autant plus pour cette personne de constater l'anéantissement de son propre mythe.
Maintenant, à savoir s'il y a quelque chose après la vie, je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est qu'il n'y a pas de générique, sinon des notices d'impression.
N. B.: Le titre de cette chronique est inspiré d'un statut Facebook du seul et unique Sunny Duval.
Beau texte encore une fois Joël!
Le but à atteindre dans cette « chienne de vie », pour emprunter un peu à Mel Brooks, c’est de devenir ce que l’on est. Pendant mes 15 années montréalesques, j’ai eu l’impression de vivre par procuration à travers un cinéma très personnel. Comme tu le dis si bien, avec le temps les masques tombent et la vraie nature prend le dessus et nous aide à mieux vivre, avant le générique de la fin…