Steak haché
Complètement Martel

Steak haché

 

Je ne le cacherai à personne, j'ai un gros faible pour la culture émergente. En fait, la seule chose qui me refroidit dans tout ça, c'est son appellation. Bien qu'elle soit appropriée dans certains cas, la notion d'émergence est pourtant complètement décalée lorsque, par exemple, on traite d'un groupe de musique qui roule sa bosse depuis 10 ans. Même chose quand il est question d'une production locale mettant en vedette des comédiens qui occupent les planches depuis de nombreuses années.

Toutefois, je préfère totalement l'étiquette de culture émergente à celle de relève, qui a été utilisée à toutes les sauces au cours des dernières années. Non seulement il s'agit d'un qualificatif encore plus surréaliste dans les cas mentionnés plus haut, mais c'est là le terme le plus pratique et profitable pour les programmateurs de ce monde.

Imaginez: vous ouvrez pour un festival et vous bénéficiez d'un budget X pour payer les artistes qui s'y produiront. Naturellement, vous avez le souci d'inviter un maximum de noms connus afin de donner une certaine prestance à votre événement. Ici, le concept de négociation est quasiment nul. Peu importe ce que votre "vedette" demandera, tout ce qui compte pour vous, c'est qu'elle accepte de participer à vos festivités. Et il en sera de même pour toutes les célébrités que vous désirerez voir figurer dans vos dossiers lorsqu'il sera temps de mener votre opération de séduction auprès des commanditaires potentiels. De ce fait, sautez sur l'occasion si jamais vous pouvez mettre la main sur le neveu du petit-cousin du beau-frère de la sour de John Lennon. Croyez-moi, ça fonctionne!

Mais ça ne s'arrête pas là pour vous. Les gros noms, c'est bien beau, mais la notion de quantité n'est pas à négliger. Que voulez-vous, on est faits comme ça. On aime ça, les menus où il y a du choix. Quand bien même on n'aurait aucune espèce d'idée de ce qui constitue les trois quarts des produits offerts, il y a quelque chose de grisant dans cette abondance. C'est comme si tout devenait possible. Or, un programme de festival, c'est un peu comme un menu, à l'exception qu'au moment où vous le feuilletez, vous n'êtes pas encore dans le restaurant. Il a pour fonction de vous attirer vers lui.

C'est donc là qu'entre en jeu le meilleur ami des organisateurs d'événements: la relève, ou plus explicitement les artistes professionnels qui ne jouissent pas encore de la bénédiction de Quebecor ou des autres plateformes médiatiques.

Ce qui est vraiment le fun avec la relève, c'est que ça ne coûte pas cher et qu'en plus, ça peut contribuer à donner une image cool et branchée. Demandez à n'importe lequel des artistes de la relève autour de vous (c'est comme les prêtres dans les années 50, il en faut statistiquement au moins un par famille), ils savent combien ils sont appréciés. En effet, tous les festivals veulent leur donner de la visibilité à tout prix. Et là, quand on dit à tout prix, c'est dans le sens de pas-tant-que-ça-quand-cinq-personnes-se-séparent-le-jackpot.

Ça vous semble presque trop beau pour être vrai? Eh bien, croyez-le ou non, mais il y a une solution encore plus profitable pour le promoteur d'événements qui sommeille en vous! Ça s'appelle le local. Vous savez, les artistes qui habitent dans un rayon de 100 km? Ils ont beau avoir plus de fans dans les environs que le groupe nébuleux que vous avez fait venir de Montréal, vous pourrez vous en sortir avec la moitié de son cachet. Même qu'avec un peu de chance, une caisse de 24 fera probablement l'affaire. C'est connu, les artistes, ils aiment ça fêter et boire. Particulièrement ceux qui habitent dans la région. Tout le monde sait ça.

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Maintenant, une question me titille. Qu'est-ce qu'une livre de steak haché a de plus qu'un artiste?

Car, qu'on se le dise, si au moment de faire nos emplettes, nous décidons d'acheter local, nous sommes conscients que nous aurons à débourser quelques dollars en plus. À ce que je sache, personne ne voit un problème à cela. Du steak haché local, c'est mieux que du steak haché industriel. Point à la ligne.

Alors pourquoi un artiste local devrait-il faire la charité? Pourquoi ne devrait-il pas être considéré au même titre que les artistes de même calibre qui viennent des grands centres?

Regardons les choses en face, la visibilité n'est pas un salaire. Et une caisse de 24, ça ne vaut pas 24 steaks.

Mais bon, en retournant les bouteilles vides à l'épicerie, ça peut toujours payer un petit paquet de saucisses à hot-dog.

C'est toujours mieux qu'un sac de pinottes…