Une vie plate qui vaut de l'or
Complètement Martel

Une vie plate qui vaut de l’or

 

Pendant un certain temps, j'ai été plutôt actif sur Facebook. Du même coup, qui dit actif et Facebook dans la même phrase sous-entend une grande part de passivité. Le réseau social nous donne cette impression d'avoir accès au monde entier du bout de nos doigts mais au fond, c'est un peu comme dans la vraie vie. En fait, la réalité de Facebook est à la vraie vie ce que l'aspartame est au sucre. Un succédané qui a un goût semblable mais qui, à trop fortes doses, finit rapidement par goûter les chiottes.

Ça ne fait pas une éternité que Facebook est entré dans nos vies et pourtant, on oublie rapidement à quel point nos habitudes de communication en ont été modifiées. Maintenant, les chaînes de téléphone où on annonçait à chacun une bonne ou une mauvaise nouvelle ont complètement perdu leur raison d'être. Finies ces conversations où chaque personne nous transmettait ses pensées sur l'arrivée d'un enfant ou la perte d'un être cher.

Nous vivons désormais à l'ère où nous sommes tous l'attaché de presse de notre propre existence. Avant même qu'un enfant voie le jour, nous planifions, de façon consciente ou non, la stratégie de communication que nous emploierons afin de faire sortir la grosse nouvelle. On ressasse dans nos esprits des milliers de formules punchées qui resteront à jamais gravées dans la mémoire de nos amis Facebook. On aimerait tous que l'avènement de notre poupon soit à la hauteur d'un Just Do It.

Voilà donc que pendant près de deux mois, au courant de l'été passé, j'ai quitté le réseau virtuel afin de reprendre contact avec la vie en 1.0. Peu avant de me lancer dans cette aventure, je ne vous cacherai pas que je ressentais un curieux mélange d'anxiété et d'euphorie. J'avais ce feeling qu'en un seul clic, mon existence ferait un grand bond dans un passé pas si lointain où l'on prenait encore des nouvelles de nos proches de façon traditionnelle.

Ce qui m'a le plus troublé dans cet ermitage cybernétique, c'est à quel point cette expérience a eu peu d'incidence dans ma vie de tous les jours. Les nouvelles qui me concernaient se rendaient quand même à moi, que ce soit par courriel, par téléphone ou par l'entremise d'une visite amicale.

Soudainement, j'avais le choix de savoir ce que je désirais savoir. Si par exemple Johnny-Cour-De-Pisse – que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam et qui m'avait fait une requête d'ami Facebook que j'avais toutefois acceptée – avait un problème avec le silencieux de son automobile, je n'en avais pas connaissance et je ne m'en portais que mieux. Même chose pour cette fille dont je n'avais aucune idée du comment elle s'était retrouvée parmi mes amis et qui avait eu la chance de se faire prendre en photo individuellement avec l'équipée complète de Star Académie. Je veux bien comprendre qu'on vit dans une société d'informations, mais dans le lot, il y en a une bonne gang dont on se câlisse littéralement. On s'en fout tellement qu'on s'en sacre.

Et comme on est tous le con de quelqu'un d'autre, ça peut sembler bien cruel, mais ils sont nombreux nos amis Facebook qui n'en ont juste rien à cirer des dernières photos de notre bébé chéri.

En fait, ce que ma désertion du réseau social m'a fait réaliser, c'est que la grande partie de ce que je n'avais plus n'avait tout simplement aucune incidence sur ma vie. En d'autres mots, je me suis délesté d'un surplus de vide. Moins de néant.

Maintenant, j'ai effectué depuis plusieurs mois mon retour sur Facebook, et ce, principalement pour des raisons professionnelles. Je sais que ça fait excuse de mononcle gras qui dit manger tout le temps au restaurant à cause de la job, mais c'est vraiment le cas. Entre chercher désespérément un courriel ou taper simplement le nom de quelqu'un afin de le joindre, je préfère largement la dernière option.

Le 11 décembre dernier, Le Devoir publiait un texte fascinant du philosophe et artiste Hervé Fischer, notamment auteur du Choc du numérique. Intitulée Le déclin prévisible de Facebook, la réflexion de Fischer explique le morcellement à venir de la communauté Facebook. A priori, l'idée peut sembler folle en cette époque glorieuse pour l'entreprise de Zuckerberg, mais en y pensant bien, il s'agit d'une chute inévitable.

Je n'irai pas jusqu'à dire que Facebook s'effondrera complètement, mais probablement que le jour viendra où ce ne sera plus qu'un substitut efficace et futuriste à nos encombrants bottins téléphoniques.

Enfin, ceux et celles qui craignent un avenir sombre où ils n'auront plus d'espace afin de partager leur quotidien et leurs états d'âme peuvent dormir en paix. Ils sont nombreux, les loups qui voient dans votre désir de clamer votre existence des signes de piastres.