Le péril jeune?
Complètement Martel

Le péril jeune?

 

Il y en a qui passent leur adolescence dans les centres sportifs et d'autres, dans leur sous-sol. Pour ma part, ça s'est pas mal passé au centre-ville d'Alma.

Lorsque le beau temps se pointait le bout du nez, on mettait nos grosses frocs chaudes et on finissait toujours par se trouver un spot où on allait passer la soirée à l'abri. Ce n'était ni du froid ni des intempéries qu'on se cachait, mais des policiers. On ne faisait jamais rien de bien criminel, mais on savait qu'il fallait être invisibles.

En moyenne, un bon spot ne durait jamais plus que deux semaines. À chaque nouvel eldorado qu'on découvrait, on était tous conscients qu'on devait en profiter au maximum avant qu'il ne soit mis au jour par la police. Parce qu'aussitôt qu'un de nos repaires était fiché, il devenait un lieu de pèlerinage quotidien des forces policières.

Quand je vous dis qu'on ne faisait rien de bien mal, je ne peux pas être plus honnête. On sifflait quelques bouteilles de Lucky Lager 6.6, on grillait des cigarettes, on mangeait des patates chips et on avait un penchant pour le tabac de course. Disons qu'en matière de bums, il s'est déjà fait mieux.

On était donc plusieurs gangs de jeunes à cohabiter dans le centre-ville et on avait tous nos histoires, nos drames et nos joies qui nous distinguaient.

Et puis, comme par magie, les policiers ont changé d'approche. Au lieu de nous dire de décamper, ils s'assuraient qu'on ne faisait pas trop de grabuge, et avant de partir, nous rappelaient de garder les lieux propres à notre départ. C'est ainsi que les années 90 se sont terminées pour les adultes en devenir de ma génération. Ces jeunes d'autrefois sont maintenant vos notaires, vos avocats, des comédiens que vous aimez voir sur scène, des travailleurs de rue ou même les enseignants que vos enfants apprécient.

Or, un jour, mais plus probablement une nuit – car c'est après 2h du matin que les mauvaises idées prennent vie -, quelqu'un quelque part a décidé qu'il était temps de changer de stratégie. Au dire des gens que je connais qui ont grandi à Chicoutimi, il semble que c'était là la méthode préconisée depuis longtemps. Pour faire simple: on sacre les jeunes dehors du centre-ville et qu'ils aillent faire leurs bébelles ailleurs.

Si l'objectif derrière cette façon d'agir était de trouver la plus mauvaise idée qui puisse être, c'est plutôt réussi. On ne règle rien, sinon qu'on apporte un semblant de quiétude à la collectivité qui, de toute façon, préfère se forger une opinion de la jeunesse à grands coups de reportages sensationnalistes plutôt que de sortir dans les rues après 8h du soir.

Les jeunes tripent maintenant dans le bois et les travailleurs de rue ont une corde de plus à leur arc bien fourni: la randonnée pédestre.

Difficile de ne pas rire quand on constate cette crainte de l'émancipation de la jeunesse. D'un côté, on annonce des investissements afin de favoriser les commerçants, mais on ne veut pas trop que ça brasse au centre-ville après 21h. Aux yeux d'une grande partie de la population, tous les jeunes sont des dealers potentiels, des bombes de violence à retardement ou des vandales en puissance.

Le maire Jean Tremblay peut bien rêver ouvertement de posséder un jour l'un des plus beaux centres-villes du Québec, il devra se faire à l'idée qu'une place publique digne de ce nom vient avec son lot de jeunesse et de fougue.

De toute façon, ce n'est pas en flânant dans les rues de la ville avec des copains qu'on gâche notre existence. Ce qui finit par nous tuer individuellement, c'est ce désir absolu de conformité qui nous transforme peu en peu en substituts de nous-mêmes.

Et juste après, il y a le vide.