Tartare take-out
Complètement Martel

Tartare take-out

 

C'était en 1984. En fait, pour dire vrai, ce n'est peut-être pas en 1984 que ça s'est passé, mais après avoir effectué de savants calculs scientifiques, je crois que ça devait pas mal ressembler à ça.

C'est drôle à écrire, mais je pense que c'est justement mon premier souvenir. J'avais quatre ans et tout ce qui a précédé ce soir-là s'apparente au néant, mis à part quelques photos dans des albums où je semble constamment stupéfait par la vie.

Alors c'est là que le director's cut du film de ma vie débute: au ciné-parc, avec mes parents, à être absolument émerveillé par les aventures d'Elliot et son copain E.T. l'extraterrestre. Encore aujourd'hui, j'ai toute la difficulté du monde à ne pas fondre en larmes quand E.T. fait ses adieux pour retourner dans son vaisseau spatial. Je crois même que mon incapacité pathétique à encaisser les au revoir provient de là.

Et puis, j'ai souvenir de ces programmes doubles de l'époque où, dans la même soirée, on avait la chance de découvrir Ghostbusters et Gremlins.

Je revois dans ma tête cette fois où mon père m'avait amené voir Double impact avec Van Damme et que la dame au guichet m'avait réclamé le tarif adolescent alors que je n'étais même pas âgé de 12 ans. Moi, qui étais ultra fier, et mon père, qui avait payé pratiquement le double en se disant intérieurement: "Qu'est-ce que ça peut coûter cher de garder intacte la belle candeur des enfants." On était arrivés à la projection avec une vingtaine de minutes de retard, alors quand le film s'était terminé, mon père m'avait amené au fond de la salle pour qu'on se cache du surveillant. On a attendu en silence la prochaine projection et on a visionné le bout de film qui nous manquait avant de quitter la salle.

C'étaient les années d'or du cinéma. Il y avait un tas de petites salles qui avaient toutes leur personnalité. Les plus vieux grillaient des clopes bien assis dans leur fauteuil et ça ne sentait pas encore la pizza.

Tranquillement, la situation est partie en couille. Les petites salles ont fermé leurs portes; même que certaines ont brûlé, probablement à cause des vieux qui s'endormaient devant des films ennuyants, une clope au bec…

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De nos jours, les salles de cinéma n'existent plus. Ce sont maintenant des complexes.

En fait, ce qui est le plus troublant, c'est que l'expérience de visionner un film sur grand écran y est devenue quasiment accessoire. Un peu comme si vous vous rendiez au restaurant et qu'après avoir joué au bowling, chanté au karaoké, suivi une formation en escrime, assisté à un forum sur l'influence d'Hemingway dans la littérature du 21e siècle, on vous offrait le menu au cas où l'envie de manger vous prendrait.

Pour continuer dans l'allégorie des restaurants, imaginez-vous qu'un jour, tous les restaurants de votre ville se transforment en "(insérer le prénom de votre choix) patate". Tout d'un coup, il n'y a plus que des spécialistes de la frite, des "hambégueurs" et des "oldoyes". Dans cet eldorado de l'obésité collective, la seule façon de déguster un tartare est de se rendre au comptoir des mets préparés à l'épicerie.

Maintenant, souhaitons que je n'aie pas planté d'idées malsaines dans l'esprit de certains décideurs – particulièrement pour le tartare à emporter -, mais pour ce qui est du cinéma, on en est pas mal rendus là.

Les grands films ont cédé leur place aux gros films. Et tant qu'à donner dans les jokes de gros, les grands films sont désormais cantonnés aux petits écrans. C'est comme ça dans les régions. On pourrait croire que la situation est moins désolante dans les grands centres, mais en faisant une règle de trois qui tient compte de la population, on constate rapidement que l'herbe est juste moins jaune là-bas.

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Les grandes maisons de production d'Hollywood en ont gros sur le cour. Les diffuseurs aussi. C'est que de plus en plus de gens désertent les grands écrans.

Si l'industrie cinématographique était dans un film – de la mise en abyme, en veux-tu? -, on déciderait tout simplement de retourner aux sources en misant sur de brillants scénarios et en prenant des risques. Mais dans la vraie vie, on a plutôt décidé de juste faire plus gros en adaptant n'importe quoi à la sauce 3D.

Il y a plus de deux ans, dans Barabbas dans la Passion des Clowns noirs, Martin Giguère écrivait que dans un futur pas si lointain, le HD serait le théâtre. Faut croire que le gars avait vu juste.

À quand le remake d'E.T. l'extraterrestre sur une scène près de chez nous? Préparez-vous à me voir brailler dans mon siège à la fin.