Complètement Martel

La vie comme un divan

 

Un jeune étudiant venait d'entrer dans la forêt de la vie. Après toutes ces années pendant lesquelles les anciens et les maîtres lui en avaient parlé, c'est de la fébrilité que le jeune aventurier ressentait en empruntant pour la première fois ces sentiers.

Les vieux du village regardaient cette jeune âme s'enfoncer dans cette forêt en souhaitant lui avoir transmis tout leur savoir. Ils se réconfortaient en se rappelant lui avoir parlé de l'importance des capotes, lui avoir dit que l'héroïne c'est weird, que le crystal meth est pire qu'une mauvaise pub de Tim Hortons, qu'un tatouage dans la face c'est n'importe quoi, que les Beatles n'ont vraiment pas tout inventé, bref, tout ce qu'il faut pour bien décoller dans la vie.

Or, au moment où le jeune explorateur n'était plus à portée de vue, un des vieux sages se mit à trembler de la babine inférieure et, d'une voix vraisemblablement inquiète, murmura: "Nous avons oublié de lui parler du gros Panda qui prête du cash."

Comme le dit le dicton: mieux vaut tard que jamais. Cependant, à l'heure qu'il était, le "jamais" s'imposait.

Voilà donc qu'alors que notre jeune héros gambadait avec enthousiasme dans les sentiers de la vie, il eut conscience assez rapidement qu'il allait devoir prendre une décision un jour ou l'autre. À savoir: est-ce que je me paye un trip de découverte de soi en errant dans la forêt ou est-ce que je me dirige vers le sous-bois de la connaissance universelle?

D'un côté, le trip de découverte de soi était tentant, car il n'engageait à rien. Par contre, le sous-bois de la connaissance universelle l'attirait énormément. Les anciens lui en avaient beaucoup parlé. On racontait que là-bas, des grands sages lui donneraient tout le savoir nécessaire afin qu'il exerce un métier noble qui lui permettrait de gagner beaucoup de pièces d'or. Ainsi, il pourrait séduire de nombreuses princesses, se payer un ski-doo qu'il chevaucherait pendant l'hiver, se construire un grand manoir doté d'un toit tapissé de capteurs solaires, se procurer une grosse tévé plasma et un lecteur Blu-ray, bref, se payer une vie digne du plus beau des contes de fées.

Sans même avoir pris ne serait-ce qu'une journée de réflexion, le jeune apprenti, mû par l'appât du gain et une soif d'accomplissement personnel, fila tout droit vers le sous-bois de la connaissance universelle.

Il ressentit une certaine crainte dès ses premiers pas sur le sentier qui le menait vers le sous-bois, car les gens qu'il croisait semblaient en revenir anxieux. Ils avaient pour la plupart une certaine amertume dans le regard, et quelques-uns maudissaient même le jeune homme sans aucune raison apparente. Pendant un instant, il pensa rebrousser chemin, mais c'est là que le Panda qui prête du cash l'aborda. Il paraissait bienveillant et ses premiers mots furent pleins d'espoir: "Oh! Toi! Tu auras besoin d'une quantité non négligeable de pièces d'or si tu comptes accéder au sous-bois de la connaissance universelle. Bienheureux sois-tu, car je suis là pour t'aider. Je te donnerai tout ce qu'il te faut et tu n'auras pas à te soucier de me rembourser tant que tu vivras dans le sous-bois. C'est comme si tu t'achetais un divan à 25 000 piastres et que c'était trois ans sans intérêt, sauf que là, c'est un bel avenir plein de promesses que tu t'achètes."

Aveuglé par ces belles paroles, le jeune homme accepta tout de go l'offre du Panda qui prête du cash et se dirigea au pas de course vers le sous-bois de la connaissance universelle.

À son arrivée dans ce royaume de l'instruction, on l'accueillit à bras grands ouverts. Plus précisément lorsqu'on remarqua le baluchon de pièces d'or qu'il tenait sur son épaule. Il y passa trois années à vivre modestement, mais dans les moments difficiles, il songeait à cette vie d'abondance qui l'attendait. Il fut toutefois déçu de ne pas y rencontrer beaucoup de vieux sages, qui avaient tous laissé place à des chargés de cours.

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Aujourd'hui, on raconte que le jeune homme est dans la mi-trentaine. Il habite un trois et demie qu'il peine à payer. Il n'a pas le câble. Pour les 15 prochaines années de sa vie, la moitié de ses pièces d'or ira directement au Panda. Et ça, c'est quand il réussit à se trouver une jobine. Il lui arrive d'être obligé de se mettre sur le BS pour avoir droit à des programmes d'emplois subventionnés payés au salaire minimum. Inutile de vous dire qu'il a annulé sa contribution à la WWF.

La dernière fois qu'on l'a aperçu, il sacrait en lisant un article de journal sur le dernier budget du ministre Bachand.