Le Correcteur
Depuis quelques années, le cinéma québécois s'essaie régulièrement aux films de genre. On a eu droit à notre buddy movie avec Bon cop, bad cop, à notre film d'ados riches avec À vos marques… party!, à notre vigilante avec Les sept jours du talion et tout récemment, à un film catastrophe grâce à Angle mort.
Mais dans tout ça, où est notre film de superhéros?
Là, je vous vois déjà me dire que ce ne sera pas demain la veille que ça arrivera parce qu'un film de superhéros, ça coûte un bras à cause des effets spéciaux. Et puis, on ne se le cachera pas, en matière d'argent alloué au milieu cinématographique, ce n'est pas comme si on nageait dans l'or comme l'oncle Picsou.
Or, vous qui êtes des fidèles lecteurs de ce journal le savez bien: je rêve sans cesse d'un monde meilleur tel un hippie nihiliste.
Alors voici mon idée de film de superhéros, que j'offre gratuitement à tous les producteurs de la Belle Province.
SYNOPSIS DE MON FILM DE SUPERHÉROS: Québec, 1990. À première vue, c'est un homme comme les autres. Il s'appelle Alain Babin. Bien qu'il soit doté d'un des pires noms de toute l'histoire québécoise, il possède un don unique: il sait écrire. Du même coup, il repère de façon instinctive toutes les fautes de français.
Ses premiers faits d'armes sont plutôt modestes. Par exemple, il corrige la lettre d'insultes que son ancien coloc lui a envoyée pour ensuite la lui reposter. Aussi, il encercle toutes les fautes d'un mémo que son patron a affiché sur le babillard au bureau.
Constatant la force de frappe de son don – il reçoit la volée de sa vie de son ancien coloc et il se fait congédier de son travail -, Alain entreprend de nombreuses correspondances avec des journalistes, leur envoyant par l'intermédiaire de Postes Canada des comptes rendus des fautes de français qu'il a repérées dans leurs articles. Fantaisie oblige, et nom poche de surcroît, il choisit un nom de plume: Le Correcteur.
De fil en aiguille, son pseudonyme devient très populaire auprès des médias. La double vie d'Alain l'excite au plus haut point. Complètement devenu accro à ces poussées d'adrénaline que lui procure son titre de correcteur sans peur et sans reproche, notre héros en devenir utilise ses REER afin de se faire concevoir un costume par la grande designer de mode Marie Saint Pierre.
Tout pimpant dans ses nouveaux habits de superhéros, Le Correcteur sort la nuit et se faufile dans les recoins sombres afin d'écouter les discussions des quidams dans la rue. Désormais, plus aucun tortionnaire de la langue française n'est en sécurité. À tout moment, Le Correcteur peut surgir de la pénombre et reprendre les propos de quiconque osera user d'une tournure de phrase douteuse, d'un pléonasme ou tout simplement d'un mauvais emploi de vocabulaire.
Les années passent et Alain voit bien que son alter ego est le sauveur tant espéré de la langue française dans ce Québec de plus en plus moderne. Alors qu'il obtient la consécration ultime en étant nommé Personnalité de l'année par le magazine La Semaine, une tragédie le guette pourtant.
C'est que le pauvre Alain vivait dans l'illusion depuis quelques années, complètement aveuglé par cette gloire en constante ascension. Plusieurs "petits" détails lui ont échappé. La réalité lui pète en plein visage au moment où il s'ouvre un compte Facebook afin de créer la fanpage du Correcteur. Il se rend compte que ses amis, ses admirateurs et la quasi-totalité de son réseau se foutent complètement de bien écrire. Les sa et les ça sont employés au hasard, les genres ne sont jamais respectés, les verbes et les participes passés sont constamment un prétexte à confusion, bref, c'est un foutoir pas possible.
Après avoir tenté désespérément de commenter tous les statuts de ses contacts pour leur signaler leurs fautes, Le Correcteur sombre visiblement dans une névrose hypnotique. On le voit rafraîchir de façon mécanique sa page d'accueil de Facebook dans l'espoir de constater que quelqu'un a pris en compte ses corrections. Et la scène dure ainsi 20 longues minutes, sans succès, avant de laisser place au générique de la fin.
/
Maintenant, retrouvez les joies de la dictée en demandant à un ami de vous faire la lecture de ce synopsis. Pour ma part, ma correctrice m'a attribué une note de 95 % à raison d'une pénalité de 1 point par faute d'orthographe. Vous pouvez faire mieux? Aussi, envoyez-nous vos plus beaux croquis ou photos du Correcteur tel que vous l'imaginez et courez la chance de gagner un magnifique prix!
Étant réviseure linguistique de profession, j’ai trouvé tordant votre synopsis de film de superhéros! Mais je vois très bien le Correcteur dans diverses situations sociales où il pourrait être être considéré comme déplacé plutôt que sauveur…
Je suis très consciente de la dégradation de la langue française dans le contexte des nouvelles technologies. Comme tout le monde, oui, j’abrège des mots et je laisse tomber les majuscules, les points et les accents quand je chatte en ligne. Mais, encore une fois, je vais pointer du doigt les générations plus jeunes, qui massacrent carrément leur langue sur les réseaux sociaux. Je suis dans le début de la trentaine et je dois avouer avec grande fierté que la plupart de mes contacts Facebook ont une bonne grammaire et font un effort pour publier des commentaires dont la grammaire est correcte. Quand on tombe dans les 20 ans et moins, c’est là que le drame commence…
Récemment, j’ai vu une pub télé sur une émission qui faisait un reportage sur les prédateurs sexuels par Internet. Dans la pub, on voyait une femme qui tapait sur son clavier d’ordinateur. Savez-vous comment elle avait écrit les mots Tu es? Non pas T’es, qui est passable encore, mais bien Ter. Ter!!! J’en suis restée bouche bée. Et au lieu de me plaindre, de m’insurger, de remettre en question ma société au grand complet, j’ai
souri en me disant : Mais qu’est-ce qu’il va y avoir du travail pour nous, les correcteurs dans 10 ans! Nous serons indispensables!
Oui, un jour, je serai une superhéros de la langue québécoise écrite…
En effet, je n’avais pas vu ça sous cet angle. Le métier de correcteur en est vraiment un d’avenir.
Je me rappelle qu’à l’adolescence, on nous répétait que l’on aurait toujours besoin de mécaniciens, de docteurs et de plombiers. Faudra désormais rajouter à cette liste les correcteurs!