Les amourettes
Complètement Martel

Les amourettes

 

Souvent, ça commence n'importe comment. Tu marches dans la rue, tu bois une bière, tu regardes la tévé, tu déjeunes ou tu prends ton bain, et là, ça te hante. Tu étais là à remuer inconsciemment dans ta tête tes bons mais surtout tes mauvais coups, et sans l'avoir vue venir, la phrase surgit. Généralement, ça ressemble à "me semble donc que ça ferait un bon livre…"

Des fois, ça dure quelques secondes et après, tu n'y repenses plus jamais. Tu t'ouvres une autre bière, te laisses distraire par une reprise des Schtroumpfs et la vie reprend son cours normal.

Ça peut t'arriver mille fois et pourtant, jamais tu n'écriras un livre. Pas parce que tu n'as pas de bonnes histoires en tête, juste parce que tu ne sais pas par où débuter. Tu vois au loin ta destination, mais tu ne trouves pas le chemin.

C'est rarement une question d'imagination. En fait, on n'en manque jamais, particulièrement quand il est temps de s'inventer des bonnes raisons de ne pas lire. On fourmille encore plus d'idées quand il faut se créer des excuses pour ne pas écrire.

Or, il se peut qu'un bon matin, dans un élan inexplicable, tu te décides à ouvrir ton Word pour te lancer dans l'aventure d'un livre. Avec un peu de chance, tu débuteras par une phrase canon du genre: "Longtemps, j'ai couché ces mots dans mon esprit dans l'attente de la bonne heure." Sinon, tu t'y prendras à l'ancienne: "Je m'appelle Denis, j'ai 43 ans et je suis fumeur."

Tu ne t'en doutes pas, mais tu es loin d'être le seul à t'être jeté dans ce vide inhérent à l'écriture. Si tu savais… Vous êtes présentement des centaines et possiblement des milliers devant votre ordinateur à inscrire dans le temps un récit, des observations ou une xième révolution. Comme tous ces autres écrivains en devenir, tu le fais presque en secret. Par crainte de te faire voler ta si bonne idée, ou de devoir te lancer dans une explication bâclée de ton roman, mais surtout, parce que cette nouvelle intimité que tu entretiens avec ton texte est purement grisante.

D'ailleurs, tu ressens un semblant d'euphorie quand tu penses à ce livre qui prend tranquillement vie sous tes yeux. C'est un peu comme si tu rencontrais cet ami que tu aurais toujours voulu connaître et pour qui les mots viendraient le plus naturellement du monde. Tu n'oserais probablement pas le dire ainsi aux gens qui t'entourent, mais tu as un petit feeling de lune de miel avec l'âme sour.

Au fil du temps, ce qui n'était qu'un flirt sans lendemain destiné à ne durer que quelques pages prend une certaine importance qui te dépasse. Tu te surprends à penser à cette idylle littéraire à tout moment. Un sourire, une poignée de porte, une couturière avec un air de bouf, bref, tout devient prétexte à faire surgir dans ton esprit ces phrases qui s'accumulent et qui te ressemblent de plus en plus.

Et puis, un soir, alors que tu as un verre dans le nez et que tu discutes avec un proche, tu te risques. Tu hésites depuis longtemps, par pudeur, mais au point où tu es rendu, tu commences à croire que l'existence de ce livre sera inévitablement révélée au grand jour.

Tu tentes de modérer ta joie, mais ton enthousiasme prend rapidement le dessus pendant que tu racontes les grandes lignes de ce récit qui partage ta vie depuis déjà un bon moment. Puis, la réalité te frappe: ton interlocuteur est content pour toi, mais ça s'arrête ici. Il voudrait bien te louanger, mais tout ça reste abstrait.

Évidemment, tu fais ton possible pour demeurer rationnel, mais soudainement, un doute naît dans ton esprit quant à cette histoire si parfaite qui t'animait. Tu la relis en tentant d'adopter un autre point de vue, tu essaies de te glisser dans la peau de ton voisin qui voue un culte à Metallica, et ce qui n'était qu'un léger doute se transforme en malaise. Ces moments privilégiés que tu passais avec ton livre relèvent désormais du pur cauchemar. Les mots viennent douloureusement et chaque phrase ne fait que t'enfoncer dans le marasme.

Vient ensuite le soir où tu te rends compte que des mois se sont écoulés depuis votre dernier rendez-vous. Tout ça est si loin.

Maintenant, toi l'écrivain en herbe, écoute bien mon conseil. Il y a toujours un moment de doute dans les histoires d'amour. En fait, c'est ce qui précède le plus beau. Ne prends pas tes jambes à ton cou. Autrement, ta vie sera pavée de one nights juteux mais éphémères.

Et dans cet océan de trips de cul littéraires, le chroniqueur, lui, espère secrètement que le grand amour l'attend quelque part.