La culture au micro-ondes
Complètement Martel

La culture au micro-ondes

 

C'était à Alma dans les années 80. On ne parlait que de ça dans les rues de la ville.

Enfin, par un beau jour d'été, le rendez-vous tant attendu allait avoir lieu. On racontait dans les journaux et à la radio qu'elle arriverait de par le ciel, telle une divinité.

Quand tu dis LA grosse affaire.

Ce soir-là, il y avait des centaines et des centaines de personnes autour du CREPS. L'exaltation était à son paroxysme. Les gens étaient fous comme un balai à l'idée de peut-être l'apercevoir.

Et puis, les premières notes de synthé cheap ont rugi et tous ceux qui étaient dans les environs ont entendu sa voix pas si unique que ça finalement.

Tel fut le passage de Samantha Fox.

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C'est connu, au Québec, on aime ça les vedettes. Notre région ne fait vraiment pas exception. Il faut comprendre que ce n'est pas comme si on en rencontrait dans la rue de façon quotidienne. Croiser une vedette à Montréal, ça passe, mais quand ça arrive à la cabane à patates à deux pas de chez nous, cet événement relativement banal prend subitement une tournure quasi mystique. On voudrait s'en foutre mais quelque part, on se rappellera longtemps cette fois où tel gars qui joue dans telle émission était là à manger "un" frite.

Ce n'est donc pas un hasard si les promoteurs de grands spectacles de la région tentent année après année d'offrir au public LA grosse affaire. On se souviendra que l'été passé, un succédané des Beach Boys aura fait le grand bonheur de tous. En matière d'absurdité, on aurait difficilement pu faire mieux. La formation ne comportait qu'un membre original des Beach Boys et il s'agissait de Mike Love. Dans la petite histoire du rock, Love est considéré comme un des personnages les plus anecdotiques de la musique populaire au cours du 20e siècle. Le gars était le cousin du band et s'il en a fait partie, c'est tout simplement parce qu'il avait une bonne bouille. Point à la ligne.

Or, pour ce qui est de l'été 2011, outre la venue de la mythique formation NOFX en juin prochain, on a une fois de plus tenté de refaire le coup de LA grosse affaire. On annonçait donc cette fin de semaine, en grande pompe, le concert de "la reine du rock des années 80", dixit le journal Le Progrès-Dimanche. Rien de moins. Pas une vedette, pas une star, pas une idole, mais LA reine.

Déjà que ça fesse de savoir que "la reine du rock des années 80" va être en ville, c'est d'autant plus percutant de découvrir que LA reine en question est Pat Benatar. Oui, oui, Pat Benatar. (Soit dit en passant, si vous pouviez voir mon visage au moment d'écrire "Oui, oui, Pat Benatar", c'est une profonde expression de perplexité que j'affiche.)

Qu'on se le dise, je n'ai aucun ressentiment envers Pat Benatar. Mais je ne surprendrai personne en disant que Pat Benatar ne m'a jamais rien fait. C'est justement ça le problème.

Je l'avoue, par une soirée bien arrosée, j'ai éprouvé un certain plaisir à jouer Hit Me with Your Best Shot à Guitar Hero avec des copains, mais ici, on parle d'une histoire d'un soir, sans grandes conséquences.

Quand je laisse entendre que le spectacle de Pat Benatar est de la poudre aux yeux, ce ne sont pas mes goûts personnels qui dictent mes propos. Il n'y a là rien de scientifique non plus. En fait, il n'y a qu'une voix intérieure qui me demande: "Mais de kessé ça?"

Je comprends que Pat Benatar a accumulé les hits dans les années 80, mais entendons-nous: un hit n'est pas nécessairement un classique intemporel. Dans le même ordre d'idées, la notion de hit est tout ce qu'il y a de plus relatif. Même Vanilla Ice a fait des hits.

En toute humilité, je veux bien croire qu'il y a quelque part au Saguenay une cohorte de fans purs et durs de Pat Benatar, mais je me permets de sourire quand je lis les propos du producteur Robert Hakim dans une entrevue donnée au Progrès-Dimanche: "Ça fait des années qu'on veut développer un créneau de spectacles de calibres internationaux à Saguenay et le spectacle de Pat Benatar est une belle occasion de nous faire valoir auprès des artistes de ce calibre."

Ben oui, Robert. Quand U2, Lady Gaga et même le fantôme de Jimi Hendrix préparent leur tournée à venir, la première personne qu'ils appellent, c'est Pat Benatar.

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Nous serons beaucoup à nous souvenir de la venue de Samantha Fox. Pourtant, son talent se limitait à faire baver les jeunes mâles en poussée hormonale grâce à des hits aux propos suggestifs et vides comme l'espace. Mais c'était son temps.

Dommage, car c'était aussi celui de Pat Benatar.