L'installation du printemps
Complètement Martel

L’installation du printemps

 

Il y a cette blague qui circule sur les Internets depuis quelques semaines. En fait, c'est un des rares gags qui hantent les statuts Facebook et qui, chaque fois, me soutirent un sourire. Ça ressemble à ça: "Installation du printemps, un instant svp. 33 % fait. Échec à la connexion. L'installation du printemps a échoué, conservation des paramètres d'hiver. Veuillez réessayer plus tard."

Maintenant, rassurez-vous, le but de cette chronique n'est pas de péter un patch de 500 mots à propos du printemps qui tarde à s'installer. Si je vous parle de météo, c'est que dans mon cour, la fin de l'hiver signifie le début de ma longue saison de lecture.

J'ignore pourquoi, mais je ne suis juste pas capable de me lancer dans un livre pendant l'hiver. Je lis quand même, mais ce ne sont que des histoires d'un soir. Je m'attaque à de courtes nouvelles, à des magazines de cinéma et de jeux vidéo, à des livres de culture générale genre Les 26 morts les plus débiles du dernier siècle de A à Z. J'imagine que vous voyez le genre…

Or, malgré l'échec de l'installation du printemps, les périphériques de mon "lecteur de romans" se sont quand même activés, et voilà que mon dégel cérébral a débuté de façon plutôt glorieuse. Si vous faites partie de ceux et celles qui aiment être au parfum des nouvelles sorties littéraires, je ne vous apprendrai rien en vous disant que Réussir son hypermodernité et sauver le reste de sa vie en 25 étapes faciles de Nicolas Langelier est tout simplement de la bombe.

Je ne le cacherai pas, c'est avec un certain scepticisme que je me suis lancé dans l'ouvrage de Langelier. C'est qu'avec la trentaine, il y a un concept qui prend place dans notre esprit. Vous savez, ce doute qui nous accable lorsque c'est trop beau pour être vrai?

Mais bon, il faut croire que dans la foulée des pseudo-révolutions merdiques qui abondent sans cesse, il y a encore la possibilité du beau. Car, au-delà des analyses poussées se noyant dans une rhétorique intense, le roman de Langelier est juste beau. Et c'est déjà pas mal.

/

Qu'on ait lu 100, 1000 ou un milliard de livres, il y en a certains qui resteront à jamais gravés dans notre tête. À la différence d'un long métrage qui n'occupera que deux heures de notre existence, un roman peut nous accompagner pendant un bon moment. Non seulement un bon roman nous marque par son récit et son univers, mais il s'inscrit aussi dans notre ligne de vie.

Par exemple, chaque fois que je repense à Sa Majesté des mouches revient ce souvenir du torticolis dont j'ai souffert pendant trois jours. Je me revois, assis dans une position zéro ergonomique, le dos courbé, les nerfs tendus à bloc, dans l'impossibilité de m'arrêter de lire, prisonnier d'un récit cauchemardesque où la cruauté n'a pas d'âge.

Il y a aussi cette semaine de juin où chaque moment libre, aussi infime qu'il puisse être, me ramenait à cette brique de Chuck Palahniuk. Et puis, aussitôt ce roman consommé, par un beau matin, je ne pouvais m'empêcher de raconter à ma blonde et à mes amis l'expérience unique qu'était Peste. Je savourais le dégoût qui s'affichait sur leurs visages. Et encore aujourd'hui, chaque fois qu'une mauvaise pub radio se fait entendre alors que je suis au volant, c'est de la peur que je ressens. Cette crainte de me faire rentrer dedans par un gros pick-up et de mourir avec une énumération de rabais sur des matelas comme trame musicale.

/

Avant même de terminer Réussir son hypermodernité… de Langelier, je savais déjà que ce livre ferait désormais partie de ces récits qui se taillent subitement une place dans notre imaginaire, comme s'ils faisaient soudainement partie de nous.

Certes, le portrait des trentenaires actuels qui y est dressé n'est guère flatteur. Que l'on ait élu domicile dans les grands centres ou que l'on se soit volontairement exilé en "campagne", un grand nombre d'entre nous est caractérisé par un cynisme à tout rompre. Sans compter ce refus d'accepter notre humanité, avec tout ce que cela implique: le désir de jeunesse éternelle, ce refoulement perpétuel de l'émotivité, notre incompétence à aimer une autre personne que soi, etc.

J'en conviens, le tableau peut sembler des plus pessimistes. Toutefois, ici, il n'est aucunement question de fatalité.

Qui sait, peut-être que dans 10 ou 20 ans, Réussir son hypermodernité… me rappellera cette époque où un vent de changement allait bientôt souffler, où nous nous apprêtions à nous repositionner en tant qu'êtres sociaux.

Cette année où l'installation du printemps avait échoué.