Complètement Martel

Encore l’hyperdébilisation

 

C'était en 1994, en pleine campagne électorale provinciale. MusiquePlus présentait une émission où les chefs des différents partis venaient à tour de rôle afin de rencontrer les électeurs de demain. Il y avait aussi ce désir utopique des politiciens de se donner une image cool.

Ce soir-là, l'invité était Daniel Johnson, alors premier ministre du Québec par intérim à la suite du départ de Robert Bourassa. À un moment donné dans l'émission, on prenait des appels du public, et parmi eux, un jeune homme de 14 ans amorça son intervention par un "Salut Daniel" bien senti. S'ensuivit une question à propos de comment monsieur le premier ministre se sentait par rapport aux sondages qui lui étaient défavorables et tout ça, en tutoiement s'il vous plaît.

Vous vous en douterez, le jeune homme en question est l'auteur de ces lignes. Ce fut ma première expérience en politique et, j'ose imaginer, la dernière. Du moins, jusqu'ici.

Donc, à 14 ans, même si j'étais démuni de toute notion protocolaire et que je ne maîtrisais toujours pas l'art du vouvoiement, je savais qui était le premier ministre du Québec. Mieux que ça, je connaissais ses opposants. Même que, sans trop vouloir me vanter, je pouvais nommer le PM du Canada ainsi que les chefs des partis au fédéral.

Ça n'aura pas fait de moi une éminence en politique, mais le simple fait de connaître les acteurs de cette arène ainsi que leurs intérêts fait en sorte qu'aujourd'hui, lorsque je me rends dans un bureau de scrutin, j'ai au moins l'impression d'accomplir quelque chose de cohérent. C'est quand même pas pire.

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La semaine passée, dans un passage de ma chronique intitulé L'hyperdébilisation, je me scandalisais de l'inculture d'une certaine Tatyana qui, dans un statut Facebook, avouait ne pas avoir la moindre idée de qui était Jean Charest. Cela dit, malgré un nom exotique, la dénommée Tatyana n'habite pas les îles tropicales et réside dans la même province que vous et moi.

Or, un argument visant à excuser l'ignorance crasse de cette Tatyana est parvenu à de nombreuses reprises sous mes yeux: elle doit avoir quelque chose comme 14 ans. Come on, dites-moi pas que ça excuse quelque chose, quand même? Parce que si nous sommes rendus là, je cours me chercher du plutonium, je trouve une DeLorean sur Kijiji, je me mets chum avec un étudiant en sciences physiques de l'Université Laval, je me fais construire un vecteur temporel et je décâlisse avec ma famille en 1980.

J'en profiterai aussi pour dire à René Lévesque de laisser faire.

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On croyait avoir atteint le fond du baril en matière d'hyperdébilisation, mais voilà qu'en cette journée de deuil où l'on apprenait la mort de Jack Layton, notre société allait accéder à un nouveau sous-sol défiant toute logique.

Parmi les milliers d'hommages à Layton, où celui-ci nous était pratiquement présenté comme un saint des temps modernes qui aurait réinventé la roue – soit, le gars était cool et inspirant, mais aussi plate que ça puisse l'être, à part fucker le paysage électoral, il n'a quand même pas réécrit la Constitution canadienne -, une pépite d'imbécillité ne demandait qu'à être trouvée.

Une fois de plus, c'est la webstar Jay St-Louis (pokpok.tv) qui nous a mis sur la piste de ce nouvel échelon de l'hyperdébilisation. Cette fois-ci, une certaine Sandrine se demandait le plus sérieusement du monde, et ce, via le de plus en plus inquiétant Facebook, qui était Jack Layton. Tout ça, garni d'une émoticône.

Inutile de vous dire que Sandrine est bien loin d'être la seule dans cette désolante situation. Pour en avoir la preuve, vous n'aurez qu'à tendre l'oreille la prochaine fois que vous irez au resto – surtout, traînez un mouchoir, car vous risquerez fort bien de finir par saigner des yeux et des oreilles.

Je le répète, une fois le choc émotif passé à la suite du décès de ce personnage ultra charismatique, l'Histoire canadienne avec un grand H retiendra de Jack son optimisme et son approche humaine envers les électeurs. Toutefois, si un équivalent canadien du mont Rushmore venait à être sculpté, je doute fort bien que Layton y aurait sa place.

Mais bon, est-ce qu'on peut s'entendre que lors de la dernière campagne électorale (40 jours, c'est pas rien), à peu près toutes les chaînes de télé ont parlé de Jack Layton à un moment ou à un autre? Même VRAK.TV. Pas facile de manquer ça. Faudrait presque faire exprès.

Ou peut-être aussi que Jersey Shore est juste trop intéressant?

Les choses se passent.