Complètement Martel

Dans le sous-sol

 

Il y a un peu plus d'un an, Chicoutimi était en passe de devenir la ville la plus plate du monde en matière de musique underground. Les élus municipaux tentaient de nous étourdir avec leur balloune de Capitale culturelle mais, vous le savez probablement, les subventions sont à la culture underground ce qu'une bonne espérance de vie est à un gars qui mange quotidiennement des Big Mac.

On préfère donner de l'argent aux affaires qui attirent les familles et qui parlent de notre histoire. En fait, concernant l'épopée de Saguenay – Capitale culturelle, je qualifierais cet exercice de "culture de l'annonce cute qui fitte dans le journal du dimanche". Donc, avis aux rockers, la prochaine fois qu'une ville de la région aura droit au titre de Capitale culturelle, habillez-vous en trappeur et mettez ça comme photo dans votre dossier de sub. Je gage que vous allez me remercier.

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Avant de sombrer dans le cynisme qui m'anime chaque fois que je fais mention de cette glorieuse époque de Saguenay – Capitale culturelle, je vous disais donc qu'il y a un an, Chicoutimi semblait se cristalliser en une espèce de dimension parallèle dont la musique underground allait être absente à jamais. Un genre de ville à la Footloose.

Le Café Cambio faisait de son mieux pour attirer les groupes et les artistes à venir s'y produire, mais le spectre angoissant de la machine à espresso qui pouvait à tout instant détruire un moment de grâce en terrorisait plus d'un. Avec raison.

Certains bars tentaient aussi de sortir la musique underground de son état de stupeur en présentant des concerts de façon sporadique, mais tel un secouriste de fortune qui ne sait pas comment s'y prendre, le massage cardiaque a davantage aggravé le cas du blessé qu'il ne l'a aidé. Par exemple, j'ai assisté à un concert des Mamelons de Satan en compagnie d'une vingtaine de personnes, et ce, en haut d'une discothèque. Les clients habituels nous dévisageaient comme des extraterrestres, tandis que les filles au bar semblaient se demander à quel moment nous allions les prendre en otage. En guise d'entracte, les meilleurs mix dance de Daniel Desnoyers nous ont fait patienter en attendant notre seconde dose de rock satanique.

Tsé, quand tu parles d'une situation qui ne profite à personne. Même le gars des vues aurait donné le contrat à quelqu'un d'autre.

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Ça ressemble à la dernière demi-heure d'un bon film de Walt Disney, mais la vie, on aime ça comme ça des fois. Alors que les fans de musique locale et de groupes "pas encore connus" se résignaient à vivre dans la perpétuelle nostalgie du "temps du Potin", voilà qu'est apparu le Bar à pitons.

C'est donc dans le sous-sol de l'auberge jeunesse et dans un bar grand comme mon salon que la scène locale, qu'on croyait à jamais emprisonnée dans un état végétatif, a prononcé ses premiers mots. Chaque vendredi, la charismatique "bookeuse" Maya Guénon a fait découvrir à ses clients des artistes d'ici et d'ailleurs.

Puis, les soirées Jazz et scotch ont débuté et des concerts de dernière minute se sont ajoutés à l'horaire par-ci par-là.

En moins d'un an, Maya aura "booké" plus de 50 shows. Faites le calcul: c'est 50 000% plus d'événements que ce que l'Auditorium Dufour a présenté durant la dernière année (juste pour le LOL).

Maintenant, pour des raisons de visa de travail, Chicoutimi devra se passer de la fougue de Maya, car la jolie Française doit retourner à sa maîtrise. Un jour, faudra rebaptiser la rue du Bar à pitons à son nom.

J'imagine que ce ne sera pas trop dur à faire passer quand je serai premier ministre.

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Quelques mois après l'ouverture du Bar à pitons, le Café Cambio nous apprenait une magnifique nouvelle: la machine à espresso était brisée! Trêve de plaisanteries, le Café Cambio avait aménagé à l'étage inférieur une salle de spectacle.

C'est ainsi que Le Sous-bois est devenu, en l'espace de quelques mois, un lieu de diffusion incontournable dans la région pour tous les amoureux de musique indépendante.

Gâté, le monde de Chicoutimi? Pas à peu près!

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Je suis un rêveur, mais ne serait-ce pas merveilleux que d'autres villes s'inspirent du Bar à pitons et du Sous-bois pour créer leur propre lieu de diffusion?

Imaginez un réseau d'endroits voués à la scène indépendante qui passerait par Jonquière et Alma?

Que ceux et celles qui ont un espace vacant en dessous de leur restaurant se manifestent!

Parce que c'est dans les sous-sols que la musique underground prend vie. Et non en haut des discothèques.