Complètement Martel

J’espère que la vie t’est bonne

Il était 11h du soir. J’avais passé la soirée avec des amis à Chicoutimi et j’étais sur le chemin du retour vers Alma. J’avais une haleine de Beck’s sans alcool et une cigarette à la main.

Ce soir-là, il faisait noir comme dans le sous-sol pas fini du diable. Pas un rayon de lune.

Ça faisait plusieurs nuits que je dormais peu. Par crainte de faire gonfler les statistiques de somnolence au volant, j’ai ouvert la radio et j’ai mis le volume au fond. Je voulais entendre du monde me parler, comme si j’avais un copilote.

Je filais à 100 km/h avec mon Dodge Caravan, et à Radio-Canada, il y avait une table ronde à propos du harcèlement dans les écoles. Pas jojo comme sujet, mais assez troublant pour ne pas fermer les yeux.

J’écoutais le témoignage d’une ado qui avait tout pour réussir. Elle s’en sortait bien à l’école et on pouvait discerner dans sa voix qu’elle avait cette soif de vivre sa vie. J’étais concentré sur ses propos et à chaque seconde qui s’écoulait, j’avais de plus en plus envie de rentrer dans la radio pour aller la prendre dans mes bras et lui dire que c’était une championne, qu’un jour, tout ça serait derrière elle et surtout, que tous les morons qui s’amusaient à pourrir son existence deviendraient de magnifiques losers et finiraient leur vie dans la médiocrité.

À un certain moment, j’ai senti une boule se former dans ma gorge. J’imaginais tous ces ados qui s’acquittaient à merveille de la tâche de rendre merdique chaque jour de la vie de cette fille. Par défaut, je me les figurais joueurs de hockey midget et pitounes d’aréna. Je ne les connaissais pas, je n’avais aucune idée de ce dont ils avaient l’air, mais je les méprisais au plus haut point.

Et puis, introspection oblige, je me suis estimé chanceux de n’avoir joui que du statut de weirdo lorsque j’étais adolescent. Pas de grandes humiliations à mon actif, que des regards dénigrants ou des remarques chiennes niveau 2. Rien pour donner le goût de fermer la shop. Faut savoir que j’avais un certain talent pour mal m’habiller. Tsé, quand tu te donnes zéro chance.

Ensuite, j’ai réfléchi à mon attitude à l’égard des autres alors que j’étais au primaire et au secondaire, et au final, je me suis donné une note pas pire. Mis à part le fait que je m’en veux encore d’avoir volé les élections de 5e secondaire à Ianika, qui était vraiment une meilleure candidate que moi, je me visualisais un karma pas pire.

En fait, j’étais sur le point de m’attribuer le score de «sacré bon gars» quand le visage de Dominic G. m’est revenu en mémoire. Tout d’un coup, j’ai revu une année de mon enfance où pratiquement tout le monde s’est acharné sur son cas. À vrai dire, si ce monde-là avait mis les mêmes efforts dans ses études, la NASA nous aurait probablement invités à la visiter.

Sans vouloir me donner le beau rôle, je n’ai aucun souvenir de l’avoir directement affronté pour la simple raison que je ne voyais rien d’amusant là-dedans et que le gars ne m’avait rien fait. Certes, c’était un drôle d’oiseau, mais j’étais plutôt mal placé pour le juger… Mais bon, par faiblesse, j’ai cédé à la pression sociale, et hop, un matin, alors que j’étais assis au pupitre derrière celui de Dominic, je lui ai pitché des bouttes d’efface dans les cheveux.

Un petit rien, direz-vous, mais quand toute la marde du monde te tombe dessus, suffit d’un pet sauce pour faire déborder les chiottes.

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Quelques jours après ce retour en voiture, j’ai cherché Dominic G. sur Facebook. J’avais la noble intention de le retrouver et de lui écrire pour lui dire que j’étais désolé pour le traitement qu’on lui avait infligé à l’époque. Le but de l’exercice n’était pas de m’alléger la conscience, mais simplement de lui rendre ce qui lui était dû. Aussi, je désirais secrètement constater qu’il était devenu un winner. Genre qu’il travaillait maintenant pour la NASA.

J’en ai trouvé quelques-uns qui portaient le même nom, mais aucun ne semblait avoir déjà vécu à Alma. Est-ce que le gars est toujours en vie? Ou n’a-t-il simplement pas senti le besoin d’étendre sa vie sur les réseaux sociaux? Compte tenu de ce qu’il avait vécu plus jeune, je comprendrais.

Fait chier.

En tout cas Dominic, si jamais tu lis ça, sache que j’espère que tu te portes bien, mec. Et puis si ça peut te faire plaisir, je croise parfois des gens qui t’ont plutôt malmené dans le temps et crois-moi, ils n’ont pas tous bien viré. Mais vraiment pas. Remarque qu’ils se disent certainement la même chose à mon égard, mais bon…

J’espère que la vie t’est bonne. Tu le mérites.