Complètement Martel

Chronique lourde

«Parfois je m’arrête, je m’approche. Pour les regarder de près. Questionner les maîtres sur tout et sur rien. Vérifier les airs de famille. Rappeler les habitudes de Buster. Entretenir son souvenir. J’essaie des choses pour l’oublier. J’insiste sur la peine que j’éprouve. J’insiste.» -Pierre Demers (Buster)

Ils étaient là, devant la porte. Ils fumaient une cigarette.

Quand ils ont vu notre kid dans sa poussette, ils nous ont dit à quel point ils le trouvaient mignon. On les a remerciés, puis ma blonde leur a demandé: «Est-ce que c’est votre première fois ici?»

Le gars nous a répondu que oui, que l’an passé, c’était trop récent.

Dans des circonstances comme ça, pas besoin d’en dire plus. On sait ce que ce petit «c’» veut dire.

Dans quelques minutes, nous allions être près d’une centaine de couples, de tout âge, à tous avoir partagé le même drame.

Pour être franc avec vous, j’ai jamais beaucoup aimé le nom de cette célébration-là, mais bon. Ça s’appelle La fête des anges. Rien de spirituel ou de religieux là-dedans. Juste de l’humanité dans ses moindres retranchements.

Voilà. Donc, une journée par année, les parents qui ont vécu un deuil périnatal se regroupent afin de souligner le bref passage de leur enfant ici-bas sur Terre.

Eh oui. C’est turn-off, hein?

Ne vous en faites pas, j’en sais quelque chose depuis maintenant près de trois ans. Presque trois ans. Déjà.

En tout cas, les intervenants qui s’étaient occupés de ma blonde (et un peu de moi) à l’époque savaient vraiment de quoi ils parlaient. Vous ne l’oublierez jamais, c’est une épreuve difficile, un jour ou l’autre vous aurez besoin de soutien, etc. Tout est vrai.

À savoir s’il s’agit du pire drame que l’on puisse vivre, je ne me lancerai jamais dans un tel débat. Les tragédies ne sont pas matière à compétition.

Toutefois, je peux vous dire que de perdre un enfant, aussi brève que son existence ait pu être, ça change une vie. Probablement plus que la loto.

Je vous comprends de ne pas être à l’aise avec ça. Vous lisez en vous disant: «C’est donc ben deep.» À votre place, j’aurais la même réaction.

Reste que lors d’un événement comme La fête des anges, on comble un besoin essentiel à la psyché humaine: on se souvient. On voit ces gens qui, tout comme nous, se sont fait jouer un cruel tour par le destin et qui ont décidé de continuer. Enfin, aussi symbolique que ça puisse l’être, la célébration se clôt par une envolée de ballons rappelant chacune de ces courtes vies.

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La veille, ça me tentait plus ou moins d’y aller. Je suis relativement passé à autre chose. J’arrive même à en parler sans verser une larme. Et puis…

«Imagine qu’il y a un monde paranormal et que Lucie est en haut avec tous ses autres amis qui sont partis trop tôt comme elle et que là, ils voient arriver tous ces ballons avec leur nom dessus, que ma blonde me disait. Ça serait vraiment triste qu’elle n’ait pas le sien.»

Ouais, effectivement. Je peux bien faire ça une fois par année pour elle.