La vidéo s’est répandue sur les internets comme une ligne de cocaïne sur une table de pique-nique en pleine tornade. Si la tendance se maintient, au moment où vous lirez ceci, elle aura été vue plus de 50 000 fois sur YouTube. Ça s’appelle My Father Is Rich.
On peut donc y voir un pauvre type à l’extérieur d’un bar de Montréal qui tente d’intimider un groupe d’individus en leur répétant incessamment que son père est riche. Mais ses efforts n’aboutissent qu’au gloussement de ses interlocuteurs et surtout, à un mépris généralisé de leur part.
Au début, on ressent une espèce de malaise, mais au milieu de la vidéo, c’est une certaine satisfaction qui finit par nous animer. On ignore pourquoi et puis, soudainement, ça nous saute aux yeux: tu as beau avoir le père le plus riche au monde, à quoi ça peut ben te servir si tu es pogné sur un trottoir à être tout seul à triper sur ton cas?
Dans la foulée du mouvement Occupy, du ras-le-bol collectif des inégalités et du système capitaliste qui part de plus en plus en couille, c’est la moindre des choses qu’une telle vidéo devienne virale. À une autre époque, elle n’aurait été qu’un moment de la vie quelconque capturé sur le vif, mais à notre époque, à ce moment précis de l’histoire, elle met un visage sur le combat le plus important que nous devrons livrer collectivement afin de garder notre dignité.
Je m’explique: au moment où le mouvement Occupy commençait à s’étendre jusqu’ici au Québec, j’avançais que le grand défi de ce phénomène allait être de façonner un rêve auquel monsieur et madame Tout-le-monde pourraient adhérer. Car l’un des grands drames de notre modernité est l’anéantissement presque total de la faculté d’imaginer chez le commun des mortels. C’est là la plus grande réussite du système capitaliste: il nous a inculqué du prêt-à-rêver et ainsi, nous avons tranquillement et sûrement adopté celui-ci pour abandonner nos propres aspirations, et ce, au profit de la société de consommation et des puissants de ce monde.
Un peuple sans imagination est un peuple à la merci du plus offrant.
Toutefois, dans la tempête des événements, une donnée m’avait échappé: il fallait aussi personnaliser le système qui nous vampirise. C’est-à-dire que le capitalisme, la société de consommation ou le système, c’est bien beau, mais à la fin, ce ne sont que des concepts désincarnés de toute identité propre. Les dogmes, c’est pas mal plus épeurant que de banals mortels.
C’est donc ce que My Father Is Rich nous révèle: le gros méchant qui nous tient par les couilles n’est en fait qu’un vulnérable personnage insignifiant qui, aussitôt qu’il sort des coulisses, n’a plus que son prestige à la con pour nous en mettre plein la vue.
Ça ne vous rappelle pas Le Magicien d’Oz?
Maintenant, dans cette étourdissante transposition d’un conte merveilleux dans laquelle nous vivons, reste à savoir qui sont les bûcherons en fer blanc, les lions et les épouvantails.
Je vous laisse le soin de vous amuser tout au long des Fêtes afin de déterminer qui fait quoi dans cette version en temps réel du Magicien d’Oz.
Pour ma part, voilà ce que je souhaite pour Noël: du courage pour tous les travailleurs qui se sentent menacés dans un avenir proche. Gardez en tête l’insipide bourgeois de My Father Is Rich et rappelez-vous que tant que vous resterez unis, celui qui se dressera devant vous éprouvera de la peur au fond de lui. Justement, je souhaite à tous les décideurs, richards et marionnettes du système économique de trouver un cœur. Ça pourrait finir par vous sauver la vie. Et enfin, je souhaite à la population de bien s’occuper de son propre cerveau.
Car celui que Quebecor vend est bridé.
Joyeuses Fêtes.
Moi je pense que c’est juste un p’tit con sur un trottoir.
Manque d’imagination, cher Monsieur Martel ?
S’il y a quelque chose dont on ne «manque» pas, c’est vraisemblablement de ce type de manque… Vous avez raison.
Par contre, je me sens quelque peu dissident avec l’idée que le capitalisme mènerait le bal, s’avérant ainsi le mal à combattre. Cela me paraît chercher à faire porter le blâme à l’épée plutôt qu’à l’escrimeur, au bolide plutôt qu’à l’abruti au volant.
Le réel problème se terre, plus vraisemblablement à mon avis, du côté de l’individualisme. De l’individualisme lorsque celui-ci se drape de ses plus vils accoutrements, notamment celui de l’égocentrisme aigu. La cupidité personnelle est l’ennemie. Pas le capitalisme.
Regardez de tous côtés et constatez. Reculez dans le passé et revenez au présent. Prenez le premier dictateur venu, peu importe l’époque ou la contrée de votre choix. Ou attardez-vous à la trop fréquente dérive du syndicalisme.
Et continuez par un bref ou long survol d’un «isme» à l’autre, qu’il s’agisse de communisme, de pharaonisme, d’islamisme, de catholicisme, de royalisme, de despotisme, et rajoutez-en autant qu’il vous plaira ou déplaira, en bout de ligne vous verrez clairement que partout ce qui fait presque toujours uniquement sérieusement problème, c’est le je-m’en-foutisme individuel à l’égard des autres.
Le contexte n’est que bien secondaire.
Certes, il y a l’antre. Et même plusieurs antres. Mais il y a surtout la Bête…