Complètement Martel

Et le monde de dormir au gaz

À ma connaissance, c’est le premier gros lock-out du genre que je vis en direct. Ça ne fait même pas un mois et honnêtement, ça commence déjà à être assez lourd. Disons que la chicane manque de pogner souvent. T’as le choix de te fermer la trappe et de faire semblant que tu acquiesces ou tu peux essayer de défendre ton point de vue en sachant pertinemment que c’est peine perdue.

Dans toute la candeur dont je suis capable, je croyais au début janvier qu’il y aurait une grande mobilisation populaire. J’imaginais que les gens se sentiraient directement concernés et qu’ils montreraient leur appui aux centaines de travailleurs de l’usine RTA d’Alma.

Faut croire que je suis un rêveur.

Tu as beau répéter au monde que ce n’est pas une grève mais bien un lock-out, ceux qui le savent s’en foutent simplement et les autres n’ont juste pas envie de changer d’idée.

Le pire dans tout ça, c’est que plusieurs non-sympathisants aux travailleurs en lock-out sont plutôt convaincants. Aussi, ils te racontent un tas de trucs comme, par exemple, que le conflit a été pratiquement programmé par les dirigeants de la RTA.

Étant donné que tu n’es pas con, et que le premier rôle de quelqu’un de pas con est de constamment remettre en question sa perception du monde qui l’entoure, tu prends note des nouvelles variantes que la population t’a soumises et tu finis parfois par te faire peur.

Tu vires ça de tous les côtés et à ton grand malheur, ça produit parfois du sens.

Tu te plonges dans la fiction afin de décrocher et tu as la brillante idée de lire Last Exit to Brooklyn d’Hubert Selby Jr., où une grève sert de décor au récit. Tu te mets à avoir la chienne que Selby soit en train de te brosser un portrait de ce à quoi le mood de ta ville va ressembler sous peu.

Tu lis aussi la dernière chronique de Myriam Ségal qui, bien que ça semble sorti tout droit de la plume d’un bûcheron, va probablement fournir le plein de munitions à ceux et celles qui n’appuient pas les lock-outés.

Au fond, tu t’en crisses d’avoir raison ou pas. Même que ça fait longtemps que ça te passe dix pieds au-dessus de la tête. Et pourtant, il y a cette tristesse au fond de ton cœur.

Ce qui te désole, c’est que pendant un bref instant, tu as été assez niaiseux pour croire que ça pouvait être des fois comme dans les films. Que les gens pouvaient avoir le goût de se dire: «Pis fuck, on n’a presque pas de chances que ça fonctionne, mais on va tous l’essayer ensemble.» Que les méchants pouvaient réaliser que c’était pas gentil ce qu’ils faisaient et qu’à la fin, tout le monde serait content.

Tu t’es fait avoir comme une adolescente devant une star merdique d’un canal jeunesse.

Il semble que l’humanité soit comme ça. Elle se contente de choix sans envergure. On mange du poulet ou de la pizza à soir? Est-ce que je mets un gilet brun ou un col roulé blanc? Je me loue le dernier Harry Potter ou je réécoute Rocky I?

On se contente d’être des locataires. Notre territoire ne nous appartient même pas. On achète des maisons mais en réalité, on ne fait que les louer à long terme.

Et si au moins le monde appartenait à deux ou trois personnes, on aurait des faces à haïr. Mais non. Il est la possession d’entités économiques aux allures de spectres. Des multinationales, des groupes financiers et des régimes d’investissement souvent grandement constitués de notre propre cash qui est placé un peu partout par des pseudo-experts qui, au fond, sont juste bons à improviser sans que ça paraisse. Nous sommes parties prenantes de notre propre perte. On pisse les yeux bandés dans notre propre réserve de soupe.

Notre quotidien est une chorégraphie tragique nous menant tous vers un seul et même objectif: le petit deux heures devant la tévé entre le souper et le dodo.

Et c’est quoi pour toi la plus belle des morts? Pendant le sommeil?

T’inquiètes. Te reste plus qu’à attendre le grand jour.