C’était par une belle soirée d’été. Un vieil ami, Simek, avait traversé le Parc avec sa blonde pour nous rendre visite.
On s’était fait un feu de joie et là, l’univers de Facebook est venu dans la discussion. On parlait de ces amis que l’on garde pour le fun. Vous savez, ceux-là qui nous rappellent une époque de notre vie mais dont on ne se soucie pas vraiment.
Tout comme moi, vous en avez certainement, et probablement que vous êtes l’un deux pour quelqu’un.
Mon ami Facebook qui répondait à ce critère était un gars que je côtoyais régulièrement alors que je travaillais à la bibliothèque. Pas un mauvais bougre, mais à partir d’un certain moment, n’étant pas psychologue, j’en avais ras le pompon d’entendre ses drames du quotidien. C’eut été un vieil ami que je me serais fait un plaisir de l’écouter jusqu’à l’écœurement, mais là…
Le gars apparaissait souvent dans mon fil d’actualités et régulièrement, depuis cet été, tel un running gag, je copiais-collais ses statuts les plus insolites pour les envoyer par courriel à Simek. Pour sa part, Simek s’amusait parfois à retracer les épisodes de Star Trek que le gars publiait sur Trek Québec pour me les filer lui aussi par courriel. Rien de bien méchant. En réalité, on était plus obnubilés par tant de candeur dans un seul homme.
Et puis hop. Alors que je finissais de corriger le texte à propos d’Une heure avant, une pièce de théâtre ayant pour thème principal les aidants naturels, j’apprenais par un ancien collègue de la bibliothèque que le gars en question était formellement accusé du meurtre de son père, dont il s’occupait depuis de nombreuses années.
L’ironie de la vie.
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C’est plutôt étourdissant d’apprendre qu’un individu que l’on connaît est accusé de meurtre.
Ceux que l’on imagine comme des meurtriers potentiels ont généralement le physique de l’emploi.
On ne peut pas présumer de ça pour quelqu’un qui tripe sur Harry Potter et qui te parle pendant six mois du dernier tome qui paraîtra sous peu. C’est encore plus difficile quand le gars en question avoue humblement regarder des «films de filles» avec sa boîte de kleenex dans les mains car ça le fait pleurer comme une Madeleine.
Ce n’est pas à ça que c’est censé ressembler, un tueur.
Et surtout, on n’est pas censé avoir eu les cyber-états d’âme d’un futur accusé de meurtre comme running gag.
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On ne connaît pas encore tous les détails de cette tragédie, mais pas besoin d’être Columbo pour comprendre qu’il s’agit ici d’une histoire de meurtre directement lié à l’état de santé précaire de la victime.
Peut-on parler d’un meurtre par compassion ou du ras-le-bol ultime d’un fils?
Les prochains mois nous le diront.
Toutefois, on peut dire que j’ai un peu de responsabilité là-dedans. Idem pour tous ses «amis» Facebook, les gens à qui il tentait de partager sa détresse, ses voisins, le gars du dépanneur, la livreuse de journaux et peut-être vous aussi.
Mais c’est surtout de la faute au monde que nous avons choisi. Celui qui, il y a si peu de temps, était constitué de gens qui échangeaient entre eux, au restaurant ou à l’arrêt de bus. Certes, on parlait principalement de météo, mais parfois, c’était une belle porte d’entrée pour de plus grands enjeux.
Les temps changent. On préfère lire des statuts de météo écrits par des amis qui vivent à 500 kilomètres. On a juste changé le mal de place.
Et puis, quand quelqu’un écrit à l’aide, on l’ignore comme s’il s’agissait d’une autre pub de bobettes.
On se dit que de toute façon, psychologue, c’est pas notre job.
C’était trop beau comme révolution: en quelques clics, on pouvait avoir accès à des centaines d’amis.
Ce qu’on ne vous avait pas dit, c’est que les oreilles n’étaient pas incluses dans le forfait.
Même que bientôt, on n’en fera plus pour rien. On va juste mettre directement des écouteurs à la place.
T’as tellement raison Joel! Aristote a dit que l’homme est un animal social, qu’il a besoin des autres pour forger son identité. L’individualisme dans lequel nous vivons nous envoie vers l’avenue contraire, à l’opposé des principes aristotélien. Si nous fuyons l’altérité, est-ce que ca veut dire que l’on se dirige vers un suicide identitaire?