De la main gauche

Le capitalisme sauvage est déguisé en sirène

Jamais la société n’a-t-elle évolué aussi rapidement qu’aujourd’hui. 

Les produits de tous les jours peuvent être commandés et livrés d’un simple clic; la culture est maintenant accessible du bout des doigts; l’économie du partage ébranle de nombreux secteurs économiques; des plateformes médiatiques qui n’existaient pas il y a 10 ans ont capturé la moitié des revenus publicitaires sans développer le moindre contenu.

Des industries complètes sont bouleversées par les innovateurs. Les modèles d’affaires traditionnels sont remis en question. L’évolution va s’accentuer avec l’accélération de la robotisation: les autos se conduiront seules, les chambres d’hôtel seront nettoyées sans aide, les drones remplaceront les livreurs, les boulettes seront flippées sans cuisinier. De nombreux travailleurs non qualifiés risquent de perdre leur emploi et peineront à en trouver un autre.

On ne peut être contre l’évolution. Mais nous avons l’obligation de l’encadrer. Quel sera l’impact sur notre économie si la classe ouvrière est anéantie? Qui achètera les voitures et qui mangera les burgers? D’aucuns prévoient la disparition des médias locaux d’ici 2050. Notre société sera-t-elle meilleure si les médias qui analysent et façonnent notre pensée disparaissent? N’est-ce pas une attaque sournoise de notre capacité à maintenir notre autonomie politique, économique et culturelle?

Grâce aux statistiques compilées par l’OCDE, qui permettent de comparer 362 régions de 34 pays, on peut clairement se rendre compte que le Québec est une des régions où il fait le mieux vivre dans le monde en regard de plusieurs critères tels que l’éducation, l’emploi, la santé, l’accès aux services publics et l’habitation. Parce que nous sommes ouverts, parce que nous avons intégré différentes communautés culturelles, parce que l’environnement fiscal est juste et compétitif, parce que nous avons un filet social équitable, parce que l’éducation et la santé sont accessibles à tous. Parce que les riches n’ont pas à installer des barricades autour de leur propriété ou engager un garde du corps pour raccompagner leurs enfants qui reviennent de l’école.

Pour maintenir cette position enviable, nous devons encourager la création de richesses en mettant en place un climat propice à l’entrepreneuriat. Le Québec doit faire preuve de leadership et selon moi nager à contre-courant. Nous avons de tout temps été une société plus progressiste que nos voisins du sud. Pourquoi devrions-nous aujourd’hui changer notre trajectoire et adopter aveuglément des modèles qui mettent en péril des pans entiers de notre économie et de notre culture? Nous aurions intérêt à nous inspirer davantage des pays scandinaves ou de l’Allemagne.

Il faut être réaliste; notre modèle n’est pas sans faille. Nous avons la responsabilité d’augmenter la productivité de l’État et de nous assurer qu’une part de plus en plus importante du budget du Québec est allouée directement aux services à la population. Nous devons exploiter plus intelligemment nos ressources naturelles, avec au premier rang Hydro-Québec, le joyau que le monde entier nous envie. Nous devons diminuer l’écart qui existe entre les riches et les pauvres en tirant les moins fortunés vers le haut, pas les plus riches vers le bas. En augmentant le salaire minimum à 15$ par exemple. Nous devons aussi soutenir des projets économiques porteurs et différenciés: le transport, le tourisme, l’agriculture. Nous devons augmenter nos investissements en culture et en éducation.

Nous devrions pouvoir compter sur la capacité de nos gouvernements à résister aux chants de la «modernité» et faire confiance à leur capacité à internaliser tous les impacts que pourraient entraîner des modifications législatives. La capacité d’un gouvernement à y arriver devrait aujourd’hui être notre critère numéro un le jour des élections.

Mais nous avons aussi tous une responsabilité individuelle. La responsabilité de s’informer et de voir plus loin que le bout de notre nez. Nous devons voter tous les jours de la façon la plus efficace possible afin de contrer le raz-de-marée qui s’annonce: voter avec notre portefeuille.  Un achat que vous effectuez avec le prix comme seul critère peut mettre en danger la qualité de vie et limiter notre capacité à soutenir l’équité sociale, l’innovation et l’entrepreneuriat. Par contre, tout achat qui soutient l’économie locale, qui encourage des entreprises partageant nos valeurs sociales et environnementales est un vote pour notre autonomie. 

Je suis convaincu que le temps où un produit ou une entreprise devront dévoiler leurs pedigrees écologique, social et économique est à nos portes. Ce sera alors plus simple de faire des choix éclairés. L’exemple du logo Aliments du Québec appliqué sur les produits d’ici est à cet égard probant. Entre-temps, nous devons redoubler de prudence et consommer de façon éclairée. Se méfier des sirènes modernes, et les contourner.

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Le projet de transformation de Voir s’inscrit dans cette mouvance. L’équipe m’a convaincu de la pertinence de son initiative et de sa capacité à avoir un réel impact. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté d’investir et de m’impliquer dans ce projet qui concordait avec mes valeurs et mes objectifs. En acceptant pendant trois ans d’être un «dragon», j’ai misé sur la promotion de l’entrepreneuriat. En acceptant de rédiger un texte mensuellement dans Voir, je cherche à démontrer que les entrepreneurs peuvent avoir à cœur autre chose que les profits et le retour à leurs actionnaires. Je choisis de miser sur la promotion du bien collectif comme facteur le plus important de l’amélioration de nos conditions de vie. Je choisis la social-démocratie comme valeur pivot de la création de richesses.

Le mois prochain, les durs choix à faire concernant le transport.