J’ai toujours un air en tête. Je peux souffrir d’un vers d’oreille deux ou trois fois par semaine, à ne pas pouvoir dormir. Ça magane un homme. Vivement les vacances.
Arrivée à Genève, où Debbie trouve qu’il ne fait pas assez chaud. Pourtant, 20 degrés, soleil, avoir envie d’une fondue suisse là où il se doit, c’est dur à battre. Des fois, je me demande si l’égalité complète homme-femme sera un jour possible. La guerre aura toujours lieu autour du thermostat, il me semble.
Lever tôt, vue superbe sur le lac Léman. La vita è bella. Mais quelque chose cloche. Où est le jet d’eau qui s’élève normalement au cœur de la rade? Ce jet si représentatif de l’autorité et de la rigueur suisse? En berne, déduis-je en lisant le journal. Nice, plus de 80 morts, un terroriste. J’ai Eicher dans la tête depuis le réveil. Plus rien ne la surprend sur la nature humaine, c’est pourquoi elle voudrait, enfin si je le permets, déjeuner en paix, déjeuner en paix.
Je suis Nice après avoir été Paris, Bruxelles, Bagdad. J’espère n’avoir jamais à être Laval ou Saint-Hyacinthe. Mais je sens qu’on n’a pas fini d’être des villes. Tout se stigmatise, la haine grandit, ouvre grande la porte à la peur de l’autre, à la montée du protectionnisme, à la victoire du Brexit, à celles, plausibles, de Trump, de Le Pen, de Bernier. C’est un gars qui nous ressem-em-ble, c’est un gars qui nous connaît…
Black Lives Matter. L’arc-en-ciel au grand complet compte. Je me dis quand même que je suis chanceux d’être né blanc, nommé Taillefer et pas Abrahim ou Toussaint. Je ne me souviens pas du voyage, mais la destination était gagnante. Pas connu l’ostracisme, les petits regards, les grands, les préjugés. Faut juste se rappeler qu’on n’a pas eu grand-chose à faire dans le canal déférent. Tu t’en souviendras, Daphnée?
J’aime revisiter les résultats de mon test d’ADN fait il y a quelques années. Me rappeler que j’ai plus de sang d’Irlande et d’Écosse que de sang normand. Malgré ma préférence pour les poulets de Bresse et les vins bourguignons. Mes ancêtres étaient peut-être les Syriens d’alors.
Plus de murs, plus de sécurité, plus d’oppression, plus de loups solitaires, de désespoir. On fait quoi pour contrer les loups solitaires, les désespérés, les gens qui ont souffert d’oppression, qui souffrent de dépression, de maladies mentales, qui iront jusqu’au bout, pour qui la vie ne vaut plus rien? Que fait-on pour les Amed et les Aziz de ce monde, les deux frères sortis de L’orangeraie, imaginés trop réalistement par Larry Tremblay? Je suis désolé, mais la solution ne viendra pas de la riposte. Ne viendra pas de l’entretien de la peur de l’autre, de plus de haine. Elle s’appellera culture, éducation, empathie, ouverture, dialogue.
Qu’elle soit catholique, juive ou musulmane, la religion sert à transmettre des valeurs. Sensiblement les mêmes, d’ailleurs. L’entraide, l’amour. Aimez-vous les uns les autres, entraidez-vous. Ce qui se passe en ce moment n’a rien à voir avec l’islam. Et n’est pas le fruit d’un État.
Ma fille danse dans la chambre. Saute. Se filme. «Daphnée, arrête de t’énerver comme ça.» «C’est normal, papa, je suis un tiers italienne.» Deux beaux enfants nés de mon union avec une Zakaib de troisième génération. Vous ai-je dit que les plus belles femmes sont nées autour de la Méditerranée? Chérie, je t’aime, chérie, je t’adore, comme la salsa de pomodoro. Chérie, je t’aime, avec ou sans tchador.
On ne réglera jamais le cas des loups solitaires. Quelles libertés devrons-nous éliminer, quelle hauteur le mur, quelles inégalités devrons-nous accroître pour que nous nous sentions faussement en sécurité? J’ai lu qu’il n’y avait que 45 policiers sur la promenade des Anglais. À 500, il y aurait probablement eu moins de morts. Mais qui aurait fêté? Je suis désolé, mais il n’existe pas de solutions miracles. Il y aura toujours des Paris, des Bruxelles, des Nice et des Alep. Des désespérés, des malheureux, certains s’exerçant seuls, d’autres influencés par des manipulateurs de désespérés, qui n’ont rien à perdre ou qui ne croient pas avoir leur place parmi nous. Je suis d’un autre pays que le vôtre, d’un autre quartier, d’une autre solitude… Il avait les mots pour le dire, Ferré.
Je me permets une petite visite sur Twitter malgré ce que je m’étais promis. J’apprends que la gauche a tout faux par rapport à son approche vis-à-vis des terroristes, selon Richard Martineau. Il stigmatise la discussion, qualifie tout de noir ou de blanc. Il a écrit exactement le contraire de ce que je pense. Je ferme mon téléphone et saute dans un taxi vers l’aéroport, accompagné en secret par Dick Annegarn. Dubrovnik, attends-moi, j’arrive. Bientôt, je prends la dérive. Genève, je te laisse mon lit.
Sur ce, rum dum dum wa la dou, c’est le temps des vacan-an–ces.
Il n’y a pas de « S » pour un ver d’oreille (on fait allusion ici à un animal invertébré), sinon il s’agit d’un assemblage de mots dans un poème (vers de douze syllabes).
Bon chemin vers Dubrovnik !
On ouvre « grand » la porte, aussi. Mais bon, la correctrice est aussi en vacances.
De bien petites coquilles de forme qui ne déparent pas vraiment l’importance du fond.
Tout simplement touchant. Merci pour cette belle lecture.
Vous avez le coeur ouvert. Très belle façon de partager ses sentiments et ses pensées. Bonnes vacances joyeuses!
Très beau texte, belle façon d’exprimer ses pensées et sentiment.
Bonne vacances joyeuse.
J’aime beaucoup vous lire, merci…