De la main gauche

Bonheur intérieur brut: troquer le PIB pour le BIB

L’argent ne fait pas le bonheur, mais y contribue bien entendu. Comme le rappelait déjà Yvon Deschamps en 1969 dans son fameux monologue justement intitulé L’argent, «mieux vaut être riche et en santé que pauvre et malade». Mais tout n’est pas que financier. On se rend de plus en plus compte de la limite du PIB pour qualifier intelligemment un pays. C’est une mesure importante, mais elle camoufle de nombreuses failles, notamment les inégalités sociales et l’écart croissant entre les riches et les pauvres. Elle élude aussi tous les aspects moins tangibles qui font qu’il fait mieux vivre dans un pays plutôt que dans un autre.

Alors, comment évaluer une société? Qu’est-ce qui fait qu’un citoyen est heureux? De nombreux sociologues et psychologues se sont penchés sur ces questions. Le bonheur serait créé par plusieurs facteurs. La très sérieuse ONU les a classés en six grandes catégories afin d’évaluer chaque pays, dans une étude intitulée World Happiness Report.

En sus du volet économique, les cinq autres catégories qu’il faut inévitablement considérer sont les suivantes:

Le support social. L’accès pour tous à un filet social riche permettant de vivre – pas de survivre! Parce qu’on ne sait jamais ce qui va nous arriver et qu’on ne voudrait pas être laissé pour compte si on ne gagnait pas à la loto génétique ou si le malheur venait à frapper.

La durée de vie qualitative. L’accès à des soins de santé physique et mentale efficaces, bien entendu, mais aussi à des programmes de prévention et d’éducation, à du soutien en fin de vie, à l’amélioration de la place des aînés dans la société. L’accès à la culture, à des infrastructures sportives, à la nature. À un environnement non pollué.

La capacité de faire des choix. Une liberté démocratique. Des structures politiques légales qui permettent une vie remplie de possibles et des chartes des droits de la personne pour s’assurer que tous y ont droit. Savoir que travailler fort peut apporter des résultats, que des sacrifices faits aujourd’hui pourront permettre aux prochaines générations de mieux vivre. Savoir que nos choix religieux, nos valeurs et notre héritage seront respectés.

La générosité. Parce que donner, c’est recevoir. C’est gratifiant de participer à la vie civile, de sentir que son implication fait une différence, qu’on peut influencer la société par ses actions tout en donnant un sens à sa vie afin de répondre à la grande question: Quelle est ma place ici?

La confiance. La confiance en soi, celle envers les autres, celle envers nos institutions. C’est la catégorie qui m’a fait le plus réfléchir, qui m’a le plus surpris. La revue Globeco, qui compile chaque année une foule de statistiques afin d’établir l’indice du bonheur mondial, risquait dans son rapport 2016 une comparaison entre la France et d’autres pays potentiellement plus heureux. Selon cette étude: «Les Français ne font confiance à rien (gouvernement, entreprises, médias, syndicats, justice) ni à personne. À la question “Est-il possible de faire confiance aux autres?”, près de 80% des Français répondent “non”, alors que 60 à 70% des habitants des pays nordiques disent faire confiance aux autres.» C’est certainement un aspect sur lequel nous devrons nous pencher au Québec.

Ce sont en fait tous des facteurs qui permettent le développement d’une société forte, d’une société durable. Quand on détermine un objectif comme le bonheur, il faut s’y engager. Il faut faire en sorte que les ingrédients qui le composent soient bien compris et intégrés dans les politiques, les lois, les règlements. Mais il ne faut pas perdre de vue que le bonheur peut aussi s’enseigner. Cet aspect me semble fort important et on doit impérativement le garder en mémoire.

En éducation, il faut absolument miser sur ce volet. Permettre aux gens de découvrir leurs passions en intégrant dans les matières de base actuellement enseignées les outils les mieux adaptés à chacun. Il faut permettre de tâter du théâtre, de la danse, de l’entrepreneuriat, des sciences, des métiers différents et avoir des enseignants heureux, parce que le bonheur est, paraît-il, contagieux.

Concernant l’implication sociale, pourquoi ne pas considérer mettre sur pied un service social obligatoire? Six mois d’implication, par exemple, dans un centre pour aînés, dans un centre culturel ou un centre de désintoxication. Pourquoi ne pas mettre nos jeunes au service de la collectivité pour développer leur sentiment d’appartenance, leur compréhension de leur rôle individuel dans le «nous» collectif?

D’aucuns ressentent un grand vide. Il semble nous manquer cruellement d’une vision, d’un objectif, d’une destination commune. Est-ce que ça ne pourrait pas simplement être le bonheur? Ne devrait-il pas être l’objectif que l’on donne à nos politiciens et à partir duquel ils devraient être évalués? Le Bhoutan est le premier pays, et le seul à ce jour, à avoir adopté le bonheur comme indicateur privilégié par rapport au PIB. Le bouddhisme l’y aurait amené dès 1972. Inspirant!

Visitez le site internet worldhappiness.report pour en savoir plus sur le rapport publié chaque année par l’ONU.