De la main gauche

Salaire minimum à 15$: un peu de sérieux svp

J’ai été très étonné de lire le compte-rendu des commentaires émis lundi par l’économiste Pierre Fortin à Radio-Canada concernant la hausse du salaire minimum à 15$. Un compte-rendu coiffé d’un titre-choc: «Le salaire minimum à 15$, “une bombe atomique”, selon Pierre Fortin» (http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2016/10/17/002-salaire-minimum-fortin-15-dollars-emplois-education.shtml).

Pierre Fortin, dans un ton peu nuancé qu’on ne lui connaît pourtant pas et dans un style qui étonne de la part d’un économiste sérieux, semble avoir choisi des formules qui appuient un scénario catastrophe… Une «bombe atomique», ce n’est pas rien! Et que dire de cette prophétie alarmiste qui prévoit une «perte potentielle de 100 000 emplois»! On voudrait clore ce débat une bonne fois pour toutes en faisant peur au monde qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

C’est très étonnant, car Pierre Fortin fait des raccourcis en communiquant les chiffres qu’il utilise pour supporter son analyse. De nombreuses erreurs factuelles majeures méritent d’être mentionnées et corrigées, comme celle de ne pas avoir ajouté les charges sociales aux ponctions retenues sur le revenu brut (voir ci-dessous) :

  • Le revenu net découlant d’un revenu brut de 20 833$ est présenté à 19 030$ alors qu’il est réellement de 17 783$, soit un écart de 1 247$;
  • Le seuil de pauvreté après impôt au Québec est présenté à 17 300$ pour une personne seule alors qu’il s’établit en fait à 19 463$, soit un écart de 2 163$;
  • Le tout entraînant un écart total au net de 3 410$ entre les chiffres présentés et la réalité pour une personne vivant seule.

Par ailleurs, Pierre Fortin ignore-t-il à quel point la pauvreté est aussi une lutte pour l’égalité des sexes? 58% des employés touchant le salaire minimum sont des femmes dont la moyenne d’âge est de 35 ans (36% ont 40 ans et plus) et 34% ont des enfants. Deux autres erreurs, encore plus importantes, se retrouvent dans le résumé présenté sur le site de Radio-Canada:

  • Le revenu net après impôt et prestations sociales et familiales d’une mère monoparentale avec un enfant est présenté à 32 474$ alors qu’il s’établit en fait à 27 272$;
  • Le seuil de pauvreté après impôt et prestations sociales et familiales est présenté à 21 055$ alors qu’il s’établit en fait à 27 525$;
  • Le tout entraînant une différence au net de 11 672$ entre les chiffres présentés et la réalité pour une mère monoparentale avec un enfant à charge.

Pour une personne seule, un salaire net disponible de 3 410$ de plus fait un monde de différence. C’est en fait environ le montant net qu’une hausse du salaire minimum à 15$ pourrait générer (on l’estime à un peu plus de 5 000$ net de l’inflation). Mais pour une mère monoparentale, un écart de 11 672$ par rapport à ce que Pierre Fortin a affirmé, ça, c’est une vraie bombe atomique.

L’économiste ne mentionne pas que moins de 41% des employés touchant le salaire minimum ont un emploi à temps plein, ce qui implique un salaire brut encore plus bas que les 20 833$ utilisés dans ses calculs.

N’oublions pas que de nombreuses entreprises doivent composer avec des fluctuations importantes dans le prix des matières premières ou du dollar sur de très courtes périodes, mais que ces variations n’ont jamais entraîné le genre de cataclysme auquel il fait référence. Les entreprises ont appris à composer avec ces situations, comme elles apprendront à le faire dans le cadre d’une hausse des salaires sur 5 ans. Il serait plus avisé que Pierre Fortin estime l’impact qu’aurait une hausse du salaire minimum sur l’IPC et nous fournisse ses calculs. De mon côté, j’estime une hausse de l’inflation inférieure à 1% par année sur 5 ans si la hausse des salaires était entièrement refilée au consommateur.

Dans l’article, il affirme que le salaire à 15$ serait possible en 2029, mais passe sous silence le fait que les partisans du mouvement actuel pour le salaire à 15$ proposent d’atteindre ce niveau en 2022, donc pas immédiatement. Vouloir y arriver deux fois plus rapidement mérite-t-il une référence à la bombe atomique?

Mais le plus étonnant est qu’il ne propose aucune solution pour régler une situation qui est inacceptable, soit celle de maintenir des centaines de milliers de Québécoises et de Québécois qui travaillent dans des conditions d’extrême précarité. L’introduction d’un salaire minimum à 15 $ pourrait se faire avec une certaine flexibilité et avec des mesures compensatoires comme un salaire plus bas pour les jeunes, un crédit d’impôt remboursable pour les petites entreprises ou pour les employés du secteur agricole ou dans certaines régions.

Le débat actuellement en cours nécessite selon moi un forum public où nous mettrons toutes nos idées et nos solutions au service de la diminution des écarts entre les plus riches et les plus pauvres, au service de l’amélioration des conditions de vie des Québécoises et des Québécois les moins favorisés. La hausse du salaire minimum n’est qu’un des outils pour y arriver, elle n’est certainement pas une panacée. Le débat devrait accueillir tous ceux et celles qui reconnaissent que cette situation ne peut plus durer et qui sont prêts à analyser la situation avec rigueur et diligence.


Références :

Seuil de pauvreté après impôts
Seuils du faible revenu, MFR-seuils après impôt, selon la taille du ménage, Québec, 2012-2013

Année $ courants
1 pers. 2 pers. 3 pers. 4 pers. 5 pers. 6 pers.
2012 18 407 26 032 31 882 36 815 41 160 45 089
2013 18 805 26 594 32 571 37 609 42 048 46 062

Source : Statistique Canada, Enquête canadienne sur le revenu (ECR), fichiers maîtres, adapté par l’Institut de la statistique du Québec
http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/conditions-vie-societe/revenu/faible-revenu/seuilsmfr_qcapi_.htm


IPC utilisé pour l’estimé du seuil de pauvreté en 2016
Impact de l’IPC estimé à 3,5% total pour 2014, 2015 et 2016.

18 805 + 3,5% = 19 463 $
26 594 + 3,5% = 27 524 $

http://www.statcan.gc.ca/tables-tableaux/sum-som/l02/cst01/econ09f-fra.htm
http://www.banqueducanada.ca/taux/indices-des-prix/ipc/


Calcul des déductions à la source
Seuils du faible revenu, MFR-seuils après impôt, selon la taille du ménage, Québec, 2012-2013

Paramètres
Nombre de périodes de paie 52
Montant de base/provincial 11 550.00
Montant de base/fédéral 11 474.00
Assujetti à l’assurance emploi oui
Salaire imposable 20 833.00
Déductions à la source
Régime des rentes du Québec 923.00
Prime d’assurance-emploi 316.68
Régime québécois d’assurance parentale 114.40
Impôt provincial du Québec par période 842.40
Impôt fédéral par période 852.96
Total des déductions 3 049.44
Salaire net 17 783.56

Sources :
Calculateur de l’Agence de revenu du Canada
http://www.cra-arc.gc.ca/esrvc-srvce/tx/bsnss/pdoc-fra.html
Revenu Québec
WinRAS2016.07


Allocation canadienne pour enfants
Établi à 7 097 $, incluant crédit TPS, pour mère monoparentale avec 1 enfant

Source : Calculateur de l’Agence de revenu du Canada
http://www.cra-arc.gc.ca/bnfts/clcltr/cfbc-fra.html


Soutien aux enfants québécois
Établi à 2 392 $ pour mère monoparentale avec 1 enfant

http://www.rrq.gouv.qc.ca/fr/programmes/soutien_enfants/paiement/Pages/montant.aspx