Je vais peut-être vous étonner, mais pour commencer l’année, je vais vous parler d’entrepreneuriat social en citant un exemple exceptionnel: celui du Dr Julien, parce que ce docteur porte à bout de bras un projet social d’envergure et qu’il le dirige de main de maître depuis près de 15 ans.
Sa méthode d’intervention, qui permet de gérer un enjeu de santé physique ou mentale que vivent un enfant et sa famille, en rassemblant autour d’une même table tous les intervenants requis pour y arriver – des avocats à la DPJ, en passant par des pédiatres, des psychiatres, et j’en passe –, a fait ses preuves et soulève de plus en plus d’intérêt. Il réussit désormais à accompagner près de 5000 enfants par année dans la vingtaine de centres qu’il a pu ouvrir. Des sortes de franchises, dirigées par d’autres médecins qui doivent suivre une formation complète et maintenir une homologation avec la fondation.
Son côté entrepreneur l’a amené à faire un deal avec le gouvernement. Son offre était simple: «Je vais ouvrir d’autres centres si tu m’accompagnes financièrement». L’État a dit oui. Vingt millions sur quatre ans proviennent du ministère de l’Éducation. Cinq millions par année, et hop! on pourra accompagner près de 20 000 enfants qui doivent affronter ce qui représente probablement une des plus grandes épreuves de leur vie. C’est un moment charnière qui aura un impact déterminant. C’est là que se joue pour eux la loterie de la vie: avoir la chance de devenir un citoyen capable de s’épanouir en toute liberté ou devoir vivre aux crochets de la société. De manière plus tragique, cette loterie tranchera aussi, parfois, entre la vie et la mort.
Il gère son projet entrepreneurial avec une vision à long terme. Il ne gère pas des trimestres, il déploie un projet social soutenu par une vision de l’humanité.
J’ai demandé au Dr Julien s’il n’y avait pas un danger à ce qu’une fonction si importante de notre société soit prise en charge par autre chose que l’État. Sa réponse a été sans appel. Il ne fait pas confiance au système pour remplir nos responsabilités envers nos enfants. Il ne croit pas que son projet puisse fonctionner s’il est absorbé par la machine. Il parle d’implication civique, de l’importance de responsabiliser les citoyens et de les faire travailler à améliorer notre société.
Le Dr Julien et son entente avec l’État n’ont pas fait l’unanimité. D’aucuns ont décrié le partenariat en mentionnant qu’il ne s’agissait, ni plus ni moins, que du commencement d’une privatisation du système de santé. Je suis d’avis que ce questionnement a un certain mérite et que des projets entrepreneuriaux sociaux peuvent représenter au moins deux risques.
Le premier risque, et il est sérieux, c’est le désinvestissement de l’État et son remplacement par l’argent du privé, celui des dons, des fondations, des commanditaires. Risque sérieux, dis-je, parce qu’il ouvre effectivement la porte à une privatisation des fonctions de base de l’État. Il s’agit d’une direction qu’il n’est pas souhaitable d’envisager. Quand il s’agit de santé, d’éducation, de culture, pas question de transférer ça à une business qui devra éventuellement répondre aux impératifs financiers de ses actionnaires ou qui augmenterait la productivité sur la seule base d’une diminution des conditions de travail de ses employés.
Le second risque, plus pervers, est de retirer du financement aux organismes qui sont performants, qui réussissent à connecter avec leur communauté et à attirer des partenaires sous prétexte, justement, qu’ils ont du succès. La raison pour laquelle ces organismes ont du succès, c’est d’abord grâce aux gens qui les dirigent et qui y travaillent: leur crédibilité, leur feuille de route, leurs résultats. Le soutien du gouvernement sert d’effet de levier, il permet de multiplier l’impact de ces entrepreneurs sociaux. La tentation peut être forte de couper les subventions des organismes qui réussissent à lever beaucoup de sous pour augmenter leur financement autonome en prétextant que les besoins financiers de base sont maintenant couverts de cette façon. Le Dr Julien peut s’occuper de 20 000 enfants avec environ cinq millions par année provenant de fonds publics, le reste provient du privé. Les besoins sont probablement cinq fois plus importants pour tout le Québec. Devrait-on attendre d’obtenir le financement privé avant de donner plus de moyens à ce projet et le pérenniser? Que non!
Tout en gardant ces deux risques en tête, le partenariat public et privé dans un contexte social m’apparaît réellement porteur et nous invite à nous poser une question: comment peut-on nous responsabiliser, à titre de citoyens, de parents ou de pairs aidants, et cesser de compter toujours sur l’État? Quel est le modèle qui nous permettrait d’injecter une grande dose de responsabilité à la société civile et à ses constituants? Et si l’État devait, dans l’avenir, jouer un rôle réduit? Le gouvernement pourrait établir les grandes directions, les objectifs, les budgets et les contrôles, mais compter sur des entrepreneurs pour la livraison des services. Il s’agirait de démanteler la machine et de la rapprocher des citoyens. Ce pourrait être possible en santé, en éducation, pour les services sociaux. Pour la culture, c’est déjà chose faite en grande partie.
À peu près tous les pans de notre société pourraient bénéficier d’une plus grande mobilisation des entrepreneurs. Que ce soit à temps plein, comme le fait le Dr Julien, mais aussi Fabrice Vil de l’organisme Pour 3 Points et Jean-François Archambault de La Tablée des Chefs, ou encore à temps partiel, en s’impliquant sur des conseils d’administration d’organismes ou des comités de parents dans les écoles, par exemple.
La célèbre phrase de John F. Kennedy me revient en tête: «Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays.» Il me semble que nous avons un modèle à revoir, à réinventer. C’est la réponse à la question que soulève cette affirmation fondamentale du défunt président des États-Unis qui est compliquée. Comment? À nous de trouver la réponse. Elle doit impérativement inclure entrepreneuriat, réinvestissement, performance et mesure d’impact, mais aussi gouvernance, plan de relève et contrôle.
Ce que je nous souhaite pour 2017? Plus d’entrepreneurs qui choisissent de changer le monde. Une bonne année à vous, chers lecteurs.
Cher Alexandre,
Je crois que l’idée est très intéressante, mais j’espère juste que la responsabilisation sociale dont tu parles, dont Barack Obama parlait dans son discours d’adieu d’hier, viendra avant l’obligation de le faire. De plus en en plus, on entend hausse du coût de la santé, vieillissement de la population, % de payeurs de taxes en diminution…un jour, notre gouvernement n’y arrivera tout simplement plus…de toute façon…à assurer la qualité de vie qu’on nécessite et qu’on impose!
Ainsi, le nombre de fondations ne cesse de croître au Québec depuis 10 ans. Nous sommes dans la voie de nous offrir des services qui ne sont plus disponibles ou trop bas dans l’échelle des priorités gouvernementales. Ces fondations achètent de l’équipement médical pour les hôpitaux, font manger les enfants, paient des bourses d’études…je crois effectivement, tout comme toi, que le futur désormais passe par une organisation sociale. Et non seulement la mise sur pied de ces organismes et des actions qui en découlent est importante, voire critique, mais il faudra aussi faire vite ! Il faut finalement miser davantage et pour vrai sur l’éducation de nos enfants…c’est par l’apprentissage qu’on éveillera et générera des responsables sociaux…nos leaders de demain! merci d’être l’un d’eux maintenant!
Excellente réflexion!
en tant que société nous avons beaucoup de chemin à parcourir…
Merci de votre implication M. Taillefer
Cher M. Taillefer, votre billet me touche du plus profond de mon coeur. J aime lire la beauté et la générosité des gens. Comme Dr.Julien, comme vous, comme beaucoup d autres qui ont à coeur d aider avec tant d amour et de don de soi, sont un baume dans notre société. J aurai bientôt 54 ans et sans emploi, au ISP depuis une semaine et je vois des gens magnifiques qui ont quitté leur pays, leur profession, souvent laissés derrière un bout de leur famille etc. Moi, qui croyais avoir eu une vie difficile. Je vois des être humains avec leur blessures, mais si fort! Ils sont souriant, beaux, belles de leurs cultures, soit Québecois pure laine, *authoctones, Shrilankais , Africain, Libanais, Marocain et j en passe, tous venus de si loin et sourire ici en classe tentant de comprendre leur nouvelle vie! Ils sont impressionnant. J imagine, M. Taillefer une situation similaire avec le magnifique projet du Dr. Julien, sa vision, sa mission et vous qui écrivez si bien ce texte. Vous me donner espoir pour les moins biens nantis si je peux l exprimer ainsi. Il y a du bon, du beau dans notre monde… Ici même à Montréal, merci à vous, Dt. Julien, les CLE etc…
Des outils et de la compassion sont un besoin essentiel pour tous les être.
Vous en avez pour bcp. Merci d exister!
Merci Téo Taxi pour l environnement! ?? Pour la Terre Mère et ceux qui l habite.
Mpg Renaud
Votre article me touche beaucoup.
Je n’ai qu’une chose à vous dire.
De grâce, ne vous lancez JAMAIS en politique.
Je partage en tout point le contenu de votre article. Je dirige une fondation, avec des ressources limitées comme il se doit, nous avons du succès, ça suscite des commentaires. Nous tenons à notre autonomie financière que nous à ssume à près de 60% du budget et avec fierté. Nous ne voulons pas, pour les mêmes raisons énoncées dans votre article, devenir une créature des gouvernements.
Le modèle du Dr Julien dérange parce qu’il est en concurrence directe avec le travail de nombreux organismes qui interviennent dans le même domaine et qui se considèrent sous-financés.
Je partage largement votre vision quand à la nécessaire contribution de l’entrepreneuriat social pour trouver des solutions innovantes aux problématiques sociales. Vous faites bien aussi de relever le danger d’un désengagement éventuel de l’État. Nous en avons vu les résultats désastreux dans le domaine de la santé mentale. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas explorer d’autres modèles.
L’État ne peut pas tout faire, le privé non plus. Cela prend la mobilisation de toute la communauté pour faire face aux défis sociaux de plus en plus complexes auxquels fait face notre société. Cela fait quelques années que je parle de l’importance d’un nouveau Partenariat public-privé-citoyen. Pour moi, l’implication citoyenne est aussi primordiale et doit être encouragée. J’en ai même fait l’objet d’un mémoire déposé à la Ville de Montréal dans le cadre des consultations pour la Politique de développement social de Montréal http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/MEM_MOBILISONSMTL_20170111.PDF
Comme entrepreneur social, j’ai financé la création d’une plateforme de crowdsourcing local https://mobilisonslocal.ca qui permet de mobiliser tous les acteurs sociaux économiques (citoyens, organismes, entreprises, institutions, etc) autour des enjeux locaux. La plateforme permet à des organisations et citoyen(nes) engagé(e)s de faire la différence dans leur communauté en s’impliquant dans des projets innovants répondant aux besoins réels des gens. Les types d’implication sont multiples et variées en fonction des moyens de chaque citoyen(ne). On a pas besoin d’être millionnaire pour avoir un impact dans sa communauté. Par exemple, les contributions peuvent prendre la forme d’offre d’expertises bénévoles, de temps, et de dons matériels.
Le Québec dispose d’une longue feuille de route dans le partenariat entre le Public, les organismes communautaires et les entreprises d’économie sociale pour offrir des services sociaux aux citoyens. J’ai travaillé les 9 dernières en financement dans ce milieu qui réalise de belles choses. Mais certains organismes se sont institutionnalisés à travers le temps et peine à innover, à embrasser de nouvelles façons de faire par la sainte crainte de perdre des subventions de l’État en impliquant trop le privé dans leur financement ou en augmenter leurs revenus autonomes.
L’entrepreneuriat social n’est certes pas Toute La Solution mais le Québec ne peut pas se permettre le luxe d’ignorer son potentiel apport.