De la main gauche

On escalade la pyramide?

On a beaucoup parlé de préjugés dans les dernières semaines. De différences, de valeurs. On a relancé le débat sur l’importance de mettre en place notre charte des valeurs. De légiférer rapidement pour promouvoir la laïcité comme valeur commune, comme seule voie possible au vivre-ensemble.

La laïcité obligatoire, donc, dans les fonctions de l’État. Parce que nous avons réussi à nous sortir du joug de la religion dans les années 1960 et que nous avons, de ce fait, atterri dans la modernité, tous devraient s’y plier.

C’est drôle, parce que quand on fait référence à la modernité, ce qu’on entend le plus comme contre-exemples dans les débats se résume en trois mots qui, comme le shish-taouk ou l’agneau vindaloo, ne faisaient pas partie de notre vocabulaire il y a 20 ans: le kirpan, le tchador et la burqa.

Je parlais d’affranchissement par rapport à la religion et d’égalité homme-femme. Parce que l’un des arguments le plus souvent cité pour imposer la laïcité est l’asservissement de la femme face à l’homme, le symbole de soumission que représente le tchador. Je parlais le mois dernier d’intégration douce. Selon moi, si le tchador est réellement un signe de soumission et non un choix symbolique ou religieux, mais quand même un choix, il m’apparaît plus sage de compter sur le temps pour que ce bout de tissu disparaisse, qu’il se fasse moins présent, et que l’égalité entre l’homme et la femme soit atteinte.

Je me suis longtemps décrit comme un athée, quelqu’un qui ne croyait pas en Dieu ni en l’Église. Mais j’ai depuis révisé ma position.  L’athéisme me semble tout aussi dogmatique que bien des religions. Il existe des intégristes chez les athées qui veulent convertir les croyants en non-croyants. Ça me semble tout aussi dangereux qu’un imam radical ou un chrétien fondamentaliste viscéralement opposé à l’avortement. Je suis maintenant agnostique. M’en fous. Tu veux croire, crois. Tu ne veux pas croire, ben crois pas. Mais respecte que ça me passe 10 pieds par-dessus la tête et essaie pas de me l’enfoncer dans la gorge. Je pense qu’on est une méchante gang comme ça au Québec.

Je reviens sur le commentaire très entendu concernant la femme qui n’est pas traitée avec égalité dans la religion musulmane. Je ne vois pas de grandes manifestations et de grands déchirages de chemises reliés à l’impossibilité pour des femmes d’être ordonnées curées chez les catholiques. C’est pas injuste et rétrograde, ça? Comment ça, c’est pas pareil?

Prendre en grippe une race, un segment sociodémographique, une ville et ses habitants, c’est laisser nos préjugés nous diriger. On ne se rend même plus compte qu’on les entretient en utilisant des cas d’espèce et en les généralisant. Un Chinois, ça conduit mal, un Polonais c’est toujours saoul, un Marocain, ça va se faire sauter. Dans le temps, quand j’étais plus jeune, un newfie, ben, c’était ça: un newfie. Je me pose la question: d’où viennent ces préjugés, qu’est-ce qui alimente la peur de l’autre, qu’est-ce qui nous rend si bêtes?

Je ne suis pas meilleur qu’un autre. J’ai mes propres préjugés qui engendrent des comportements réprimandables. Je ne vais quand même pas vous divulguer tous mes défauts, mais sachez que quand je pense à des individus pour des postes de direction dans mes entreprises ou des conseils d’administration, j’ai encore trop souvent le réflexe de penser à des hommes. Je me dompte, j’en prends conscience et je dois me donner quelques claques. Heureusement que des initiatives comme l’Effet A m’ont aidé à en prendre conscience. Me suis fait traiter de mononc’ une fois sur Facebook et ça m’a ébranlé. J’y pense encore.

J’accuse mon éducation, mes a priori, l’époque qui m’a élevé, les médias vrais et les médias faux. Et je me trouve bon d’en avoir pris conscience et de travailler sur mes préjugés… Mais entre vous et moi, je ne suis pas sorti de l’auberge. Quand je tente de contrer les conséquences de mes préjugés et que j’y arrive tranquillement, je m’aperçois que j’en ai encore plein à régler. Comme la tête de la marmotte sur laquelle on doit cogner dans les jeux forains. Lutter contre ses préjugés, c’est un sport à temps plein.

Devenir une meilleure personne, c’est ce à quoi j’aspire. Je vous avoue que ce n’est pas facile tous les jours. Dans la pyramide de Maslow, l’homme atteint le sommet lorsqu’il s’est actualisé. Je ne crois pas qu’ils soient nombreux, les hommes et les femmes, à y être arrivés. Mais je vais vous proposer un petit exercice d’escalade. Prenez un préjugé que vous avez et abordez-le sans a priori, avec une certaine ouverture d’esprit. Gardez-le pour vous, pas besoin de le dire à quiconque. Vous n’en avez pas? Vraiment? À part que les Arabes ont comme mission de nous convertir à l’islam et de nous faire obéir à la charia, rien d’autre? Ne pensez-vous pas que la ville de Québec est pleine de fonctionnaires qui se plaignent le ventre plein, que les gays couraillent 10 fois plus que nous, que les pauvres sont gras dur et veulent juste rester sur le BS? OK, ces préjugés-là sont gros. Mais: je n’habiterais jamais en Ontario, j’irai jamais manger à Repentigny, je fais plus attention dans les stationnements des centres d’achat à Laval. Et que dire des conducteurs de Honda Civic rouges qui ont tous des casquettes… Ces préjugés sont un peu plus proprets. Forcez-vous, je suis sûr que vous allez en trouver quelques-uns.

On a tous des préjugés et nous allons passer notre vie à les renforcer ou les éliminer. Bashung disait: «J’ai dans mes bottes des montagnes de questions.» Monter plus haut dans la pyramide implique de trouver des réponses, et d’éliminer nos préjugés. Prenez donc votre préjugé soigneusement choisi et faites un effort. Lisez, visitez, rencontrez, visionnez. Faites comme si vous vous donniez comme mission de faire une thérapie pour l’éliminer, vous en débarrasser.

De mon côté, je vais profiter du congé scolaire pour m’attaquer à deux petits préjugés que j’ai. D’abord, je vais m’ouvrir à l’Ontario. Je ne connais pas mes voisins et, franchement, je trouve que c’est bête. Ensuite, je vais tenter de comprendre pourquoi quelqu’un peut adhérer au libertarisme. Finalement, j’irai peut-être manger à Repentigny, si vous insistez…

Je ne vous promets pas de réussir à y arriver. Mais ne jugeons jamais un homme avant d’avoir marché un mille dans ses souliers. Bon repos.