Je me suis prononcé ouvertement dans les derniers mois sur la nécessité pour le Québec de développer des solutions de rechange aux services offerts par ce que les initiés nomment la toute puissante GAFA, le quatuor composé par Google, Amazon, Facebook et Apple qui domine les secteurs de la recherche, du commerce et du média social, avec des parts de marché qui frôlent le monopole et qui continuent à croître grâce à l’effet de réseau: «Plus de gens les fréquentent parce que plus de gens les fréquentent.»
Vous trouverez toutes les statistiques que vous voudrez sur leurs positions dominantes: Amazon s’accapare la majorité des recherches sur les produits en ligne, vaut deux fois Walmart, Facebook a réduit de façon spectaculaire les SMS et les appels traditionnels grâce à Messenger, un utilisateur passe plus de temps sur Facebook sur son téléphone que n’importe quelle autre application, Google et Facebook s’accaparent plus de 80% des revenus en ligne au profit des médias locaux. Je pourrais continuer pendant des heures.
En sus des revenus que ces entreprises arrachent localement, elles perçoivent une somme inouïe de données qu’elles analysent brillamment pour devenir de plus en plus performantes. Les données, c’est le nouvel or noir, elles circulent sans règles, sans complexes.
Toutes ces entreprises se targuent d’exploiter dans un contexte ouvert, accessible, gratuit. Leurs dirigeants sont cool, c’est vraiment du bon monde comme vous et moi. Sauf que Jeff, Mark Larry et Sergey contrôlent nos vies et ont depuis longtemps perdu de vue les grands principes auxquels rêvait Tim Berners Lee pour l’internet, avec au premier rang la neutralité. Derrière leur look cool de drop-out des Ivy League se cachent en fait de dangereux Docteur Evil qui en veulent toujours plus, nourris par leur narcissisme et fouettés par l’avidité de leurs actionnaires.
On se souviendra des grandes batailles sur le système d’opération à l’époque. Microsoft contre Apple. Aujourd’hui, cette bataille ne se joue plus sur les plateformes, mais sur le data. Que peut-on reprocher à GAFA? L’hermétisme et la volonté clairement exprimée de ne laisser aucun soldat debout sur le champ de bataille. Rien ne serait plus simple que de permettre une interopérabilité entre Facebook et d’autres réseaux sociaux, entre leur solution de communication Messenger et des solutions tierces par exemple, de la même façon que quelqu’un de Montréal peut appeler quelqu’un à Silicon Valley en utilisant son téléphone. Le système téléphonique n’appartient pas à un seul joueur. Chacun peut l’utiliser pour développer des affaires. Au contraire, les systèmes mis en place par le géant GAFA rendent les utilisateurs entièrement captifs, indéplaçables. C’est un monopole vicieux.
L’antitrust américain est intervenu pour bien moins que ça en 1982 quand il a choisi de scinder AT&T en plusieurs Baby Bells.
Je n’ai aucun doute que les autorités réglementaires vont venir remettre en doute les monopoles qui ont été créés dans les dernières années. On souhaite qu’ils se réveillent rapidement et empêchent l’hécatombe qui s’annonce. Ils ne semblent toutefois pas bien pressés. Mais pour nous qui avons la particularité d’avoir une économie locale à sauver et une culture unique mue par la langue française, le temps presse plus qu’ailleurs. La position de la ministre du Patrimoine quant à la sacro-sainte neutralité du Net est très inquiétante. Nous devons agir rapidement et fermement.
Comment nos médias survivront-ils dans un contexte où les revenus publicitaires disparaissent au profit des géants du Net qui utilisent nos contenus et nous remettent des pinottes en échange? Est-ce que l’État devra financer nos salles de presse pour nous assurer de maintenir le quatrième pouvoir? Je crois que d’autres options existent. La relation que nous entretenons avec nos médias locaux n’a pas diminué, ni quantitativement ni qualitativement. La preuve, ce sont les contenus que l’on retrouve le plus souvent sur les réseaux sociaux. On a juste bêtement accepté de les diffuser sur leurs plateformes pour promouvoir le trafic de nos sites et nos images de marque. Pendant ce temps, Facebook tente de devenir l’unique solution de publication afin de capturer les impressions et le temps passé par les lecteurs à lire les contenus. Il faudrait, pour être plus visible, publier directement sur leur plateforme. Rien de moins que du parasitisme. Encore ici, nous devons développer des solutions performantes, qui vont démontrer la capacité de nos médias à générer des revenus concrets pour nos commerçants.
Nous possédons de nombreux atouts, des forces évidentes, même par rapport aux grands joueurs. Compte tenu de l’importance que l’internet a et continuera à avoir sur notre autonomie économique, médiatique et démocratique, nous n’avons simplement pas le choix de proposer des solutions de rechange aux dangereux monopoles qui se sont formés.
Une régie publicitaire commune, un identifiant unique fonctionnant sur tous les sites d’ici, des outils de mesure, d’analyse, une plateforme de commerce (marketplace), la logistique, la livraison. GAFA a habitué les consommateurs à un haut niveau de qualité ainsi qu’à une efficacité et des prix compétitifs qu’il nous faut égaler, voire dépasser.
Il y a de la place pour des solutions différentes, innovantes, tirant profit des forces que pourrait nous procurer un regroupement. Déjà plusieurs initiatives internationales nous tracent la voie. Les six plus importants groupes médiatiques du Portugal ont choisi de se regrouper après des années de discussions pour lancer Nonio et les principaux éditeurs allemands ont choisi de laisser tomber Google comme serveur publicitaire.
Nous sommes capables. Vous n’avez pas idée du nombre d’innovations qu’on retrouve chez GAFA et qui ont été créées ici. Soyons courageux, ambitieux, innovateurs et, oui, soyons un peu naïfs. On se doit de lancer rapidement une vraie solution différente patentée ici afin qu’on puisse dans quelques années hisser haut et fort le drapeau des patriotes numériques.
*Résister est inutile, le motto des Borgs dans Star Trek. Ils ont déjà réussi à en assimiler quelques-uns au Québec…
À courageux, ambitieux, innovateur et naïf j’ajouterais créatif. Créatif dans les solutions, créatifs dans le contenu, créatifs dans le contenant et créatifs dans la mise en marché, dans le branding. Pour que ça fonctionne faut que ce soit hip, branché et convivial. Nous avons une expertise reconnue en créativité et survie culturelle, il faut bâtir là-dessus…
Excellent article qui commande la réflexion! Il faut commencer quelque part.
Parfaitement d’accord! Il y a néanmoins un point qui manque à votre analyse. Les revenus publicitaires ne se sont pas déplacés chez GAFA par hasard et on serait bien naïfs de croire que c’est uniquement parce qu’ils ont les chiffres les plus éloquents sur papier. Oui le trafic est immense mais c’est un trafic de très faible qualité, même lorsque les algorithmes nous montrent en marge des pub sur la dernière recherche qu’on vient d’effectuer, l’effet pour la plupart des gens est négatif. On a l’impression (sans jeu de mots) d’avoir été surveillés, et avec raison!! Et mon point il est là : les publicitaires qui, sur la foi de chiffres gonflés aux stéroïdes numériques, continuent bêtement d’y placer des fortunes en budget marketing des entreprises qu’ils représentent ne rendent pas service à leurs clients, tuent leurs sources de revenus à petit feu, réduisent la diversité des sources médias et contribuent à affaiblir nos démocraties. Les publicitaires qui placent 90% des budgets qu’on leur confie dans du « junk advertising » sont en train de se faire hara-kiri aveuglés par les juteux profits à court terme. Tout le monde empoche là, maintenant et on voit bien ce qui se dessine, et que certaines grandes entreprises qui croyaient hier à l’utilité de la pub, s’en dissocient de plus en plus aujourd’hui, mais on se dit que ce « bouillonnement » est organique et qu’on aura toujours besoin d’eux… Faudrait leur rappeler l’histoire des typographes, ces intermédiaires essentiels d’une autre époque qui faisaient le pont entre l’encre et le papier.
Très bonne idée, qui lancera un si beau projet!
Il ne faut pas négliger les bâtons dans les roues que Postes Canada mettent aux commerces en ligne locaux avec leurs frais d’envoi exorbitants. Quand le consommateur a un taux fixe de 10$ à payer en sus du prix de ses produits, il cherche à aller sur un site où c’est gratuit… et ainsi notre commerçant local perd un client.
En quoi les profits empochés par « GAFA » menacent-il notre culture ou notre intégrité économique? On parle ici de corporations qui nous offrent des services nous permettant de nous connecter de manière optimale. Ils ne doivent pas être vus comme des gros méchants loups aux poches pleines, mais comme les pilliers d’une économie globaliste basée sur la communication sans entraves et la collaboration.
Nonobstant le fait que j’ai un certain malaise a donner les clés de la maison pour me connecter de manière optimale, j’ai aussi un problème lorsque les piliers d’une économie globaliste sont plutôt basés dans les paradis fiscaux!!!
T’as oublié de mentionner qu’ils ne payent presque pas d’impôts et aucune TPS / TVQ.
Pas facile de financer des infrastructure en ruine avec de l’économie virtuelle mut à grand coup de Paypal ou de carte de crédit à 2% de frais d’utilisation.
C’est la mort annoncée de la Réalité.
Mettre en ligne une plateforme québécoise pour soutenir l’achat local, mais si seulement un BON pourcentage des profits nets est redistribué dans la promotion de nos entreprises de façon individuelle. je suis prêt a enrichir des investisseurs, si et seulement si, par cette action je suis en mesure de m’enrichir.
Des plateformes libres existent déjà: Le réseau Diaspora* existe et, en l’état, est comparable à Facebook. La seule chose qu’il faudrait, c’est une entreprise qui décide de prendre le script actuel et l’améliore afin de le rendre compétitif à Facebook (ajout de publicité locale, gestion des groupes, événements, Pages corpo…), tout en redonnant le code source à la communauté.
« un identifiant unique fonctionnant sur tous les sites d’ici »
Cela fait 5 ans que je tente de proposer une solution universelle à l’identité numérique, qui remplacerait même le passeport tant qu’internet est accessible.
J’étais analyste TI au MJQ, qui possède déjà une direction des registres pouvant héberger la solution, très simple à développer et auto-finançable.
… et bien ils ont fini par me casser en dépression et me congédier ( nope, pas pour incompétence ou mal-pratique, mais pour mauvaise attitude ).
Voilà l’état dans lequel est tout l’État … selon la volonté des politiciens.
Si on veut commence quelque-part, si on veut arriver à un résultat, ils faut faire comme les islamistes : appuyer les individus auto + déterminés à lutter pour atteindre ce résultat.
Ça fait un bon moment que j’argue que FB, programmé par des ados attardés, n’a aucun respect pour le service et la valorisation de l’information, et ne peut donc nous offrir la plateforme dont on a besoin.
J’ai dis.
https://ca.linkedin.com/in/gilles-turcotte-a5273b5a
Je considère que dans cette société devenu virtuelle et mondialisée avec l’utilisation de ces plateformes et leurs accessoires que la liberté et le respect de l’humain n’existe plus du tout. Vos pensées, vos loisirs, vos activités, vos intérêts, votre famille, vos amis et votre salaire ; tout ce sait, tout se vend et tout s’utilise a votre insu par quelqu’un quelque part via Internet et pas nécessairement dans votre meilleur intérêt. Nous sommes des objets avec une somme d’argent a dépenser et Ils le savent et font en sorte de venir le chercher. Nous sommes aussi des objets qu’ils peuvent vendre si le prix est bon. Ainsi: votre réputation, vos défaillances de toutes sortes, votre état de santé, etc, ont tous des acheteurs prêt a payer pour les connaitre et ils le font. C’est vraiment un moment de déshumanisation historique que le numérique a créé et c’est troublant et inquiétant a la fois.
En lisant attentivement votre article dans le Voir, je n’ai pu m’empêcher de penser au très bon roman dystopique « The Circle », de Dave Eggers (l’adaptation filmique, quant à elle, est un désastre). « The Circle », c’est une superpuissance du web, comme si Facebook, Google, etc, ne faisaient plus qu’un, et même plus. Une genre d’oligarchie dangereuse. Le problème, avec « The Circle », c’est qu’en le lisant, on trouve le roman très près de la réalité, très plausible. Bref. Une bonne piste de réflection.
Merci pour ce billet, parlant d’initiatives québecoises; Une cryptomonnaie avec des valeurs sociales et éco-responsable est sur le point d’être lancé par la banque Impak Finance. À surveiller: « Impak Coin » http://impakcoin.com
On verra ce que ça donne mais c’est définitivement un pas dans la bonne direction!
Merci Monsieur Taillefer pour toujours brasser des idées comme ça !
Voici ce que je propose : on propose au gouvernement d’organiser un vote/concours pour décider de la prochaine entreprise publique qui pourra répondre à la compétition du GAFA. En bref, on invite les startups à vendre 51% de leur parts contre un investissement MASSIF du gouvernment. On allie public et privé de manière jamais vu et en engageant la population dans une compagnie qu’ils ont choisit on s’assure d’un taux d’adoption beaucoup plus rapide ! Sans compter qu’avec 51% des profits qui reviendront à l’état ça devient un devoir civique que de s’y engager !
J’abonde dans votre sens quand vous dites que tout le monde utilise les services du GAFA car tout le monde les utilise. Créer un nouveau produit revient donc à mourir avant d’être née.
Mr Taillefer vous le savez comme moi, ce n’est pas que l’argent que l’on va chercher quand on vend nos parts, mais bien l’investisseur et son réseau. Alors, qui de plus intéressant qu’un gouvernement au grand conplet et sa population de 8 M de personnes pour faire fleurir une entreprise.
Imaginez pouvoir donner ce pouvoir d’investir en ce que vous croyer et le bonheur d’accompagner des entreprises prometteuses à tous les citoyen.ne.s ! Imaginez l’effort collectif que le Québec fera pour s’assurer que « son » entreprise grandisse ! Et sans compter les retours probables pour son équipe et la province.
C’est sans comptet aussi l’éducation économique qui pourra découler de cet exercice. Et la possibilité pour des nouvelles équipes d’entrepreneurs sociaux de se former pour répondre à des besoins où seul le gouvernement est un bon potentiel investiseur.
Bref beaucoup de plaisir en perspective.
Donc je vous conseille de vous présenter d’être notre porte parole! Pouvoir un peu argent oui c’est un bon début! Nous avons besoin d’une autre perspective! Nous parlons tous mais dans les faits… Pas facile!
Voici 50 ans le quasi monopole de la connaissance rapide se nommait «petit» Larousse- Robert-Collins- et quelques autres encyclopédies du type Grollier/Pays et Nations et toujours en «retard» faute de mise à jour rapide et pratique. L’accès à un savoir de meilleure qualité était l’affaire des happy few qui fréquentaient Britannica ou Universalis. Aujourd’hui, nous sommes tous à 2 clics d’à eu peu près toute la connaissance scientifique ou littéraire que mes maîtres lors de mes études classiques possédaient et nous distillaient, chichement étant pour la plupart prisonniers de programmes et de règles morales et religieuses. Wiki et la masse des gens intéressés par le partage de la connaissance ramènent la connaissance au niveau des pâquerettes. Point besoin de faire la queue en bibliothèque pour y accéder: il suffit de mettre en ligne. GAFA est l’affaire de tous et tant qu’elle ne mettra pas des barrières insurmontables à l’accès au savoir, cette «association» de géants survivra.
Je doute que l’on ai aujourd’hui accès a un savoir de « meilleure qualité ». Cela semble plutôt a un savoir à gogo. Devant tant d’informations, on lit et consulte ce qui fait notre affaire et c’est à croire que tout ce qu’on a appris en philo au CÉGEP a foutu le camp.
Aujourd’hui, l’individualisme a amené ces propres règles morales et religieuses où chacun fait sa propre religion… son propre monde.
Finalement, dans le monde d’aujourd’hui, c’est qu’on choisit ses propres chaînes!
Dans la revue imprimé, vous parlez plutôt de Star Wars dans la dernière ligne. Merci d’avoir fait la correction ici! :-)