C’est assis dans la salle à manger d’un camp de pêche d’Islande que j’entame cette chronique. Entouré de presque tous mes copains les plus proches, je passe quelques jours chaque année sur une rivière, la plupart du temps québécoise, pour y pêcher le saumon. C’est une pêche sportive magnifique qui fait maintenant partie de mes traditions. J’ai la chance d’appartenir à ce groupe d’une dizaine de copains avec qui j’ai fait les 400 coups, avec qui je ne compte plus les fois où l’on a réinventé le monde autour d’un repas, sans avoir auparavant fait le tour de nos exploits de la journée.
Je mouche aujourd’hui avec assurance. Le geste est franc, plus confiant. La mouche se dépose là où je le veux. Douze ans, peut-être quinze, ne m’ont toutefois pas apporté une plus grande garantie de succès. Le saumon est une espèce particulière. Les raisons sont multiples, toujours différentes: «Lève ta canne plus haut», «L’eau a monté trop vite», «Tire sur ta ligne doucement par gestes courts», ou l’inverse. Ça se conclut souvent par: «Viens, on va changer ta mouche.»
Quand le saumon vient finalement mordre, le combat rend l’homme aux aguets, puis lorsqu’il le gagne, très fier. Les plus jeunes saumons sont souvent les plus combatifs. La dextérité et la patience feront la différence. Nous relâchons la majorité de nos prises, mais en conservons toujours une ou deux pour prouver à nos épouses que nous étions bel et bien à la pêche cette année et que nous aurions été utiles et donc bons à marier au temps des hommes des cavernes alors que la survie de la famille en dépendait.
Ce sont des journées qui appellent à la contemplation et aux réflexions. L’air frais emplit mes poumons et impacte sur mon activité cérébrale. C’est l’heure des bilans, des pensées qui virevoltent et viendront nourrir mes idées et mes opinions.
Je réfléchis depuis quelques jours à l’identité. Philippe Couillard, qui est aussi un pêcheur à la mouche, a certainement dû passer quelques jours à taquiner des fosses à saumon avant d’établir les grandes lignes de ce que contient Québécois, notre façon d’être Canadiens, un livre bien étayé que j’ai lu en quelques heures et qui explique limpidement la position libérale quant aux conditions requises pour que l’erreur historique qui nous a exclus soit finalement corrigée. Ce que n’a vraisemblablement pas pris la peine de faire Justin Trudeau, qui a refermé le couvercle de la marmite constitutionnelle l’instant même de la publication du texte en question.
Réuni au lunch avec mes copains pêcheurs, je lance le débat: «Qu’est-ce qui pourrait régler le débat constitutionnel et faire adhérer le Québec une fois pour toutes au Canada?» L’enthousiasme est mitigé, voire absent. On ne croit plus à cette possibilité, une révision constitutionnelle impliquant selon plusieurs de satisfaire d’innombrables autres réclamations de la part de nombreux tiers, qui rendrait une entente impossible. Le fils de Pierre Elliott Trudeau ne pourra pas corriger la gifle que son père a donnée au Québec en 1982.
On préfère reparler de notre journée de pêche, des femmes de nos vies, avant de se raconter pour une énième fois ces fameuses histoires que l’on a vécues ensemble, en riant toujours davantage. Le vin aidant, on entonne quelques chansons que l’on connaît tous par cœur: Bélanger, Offenbach, Flynn… La radio a rempli nos têtes de leurs paroles. L’identité, ce sont ces traditions qui se développent, ces chansons que l’on fredonne à l’unisson en les ayant pourtant retenues individuellement bien avant que la pêche ne nous unisse. Avant-hier, dans un piano-bar de Reykjavik, nous constations la beauté et la richesse d’une culture différente mais tout aussi riche que la nôtre quand tous les Islandais qui s’y trouvaient ont entamé ensemble, comme nous-mêmes la veille, des airs qui nous étaient pourtant inconnus.
Je suis retourné moucher, en réfléchissant à la différence entre une nation et une société distincte. J’étais pas mal mélangé. Et plus convaincu que jamais que la protection de notre identité ne passe pas par une reconnaissance juridique où nous chercherons à en obtenir plus que les autres provinces. Nous n’y arriverons pas. Parce que chaque province a une identité qui se forge au quotidien et ne comprend pas ce que nous cherchons à accomplir en demandant la reconnaissance de notre différence.
Je suis heureux de mon voyage, heureux d’avoir pour une troisième fois visité l’Islande. Retrouvé Jón, mon ami qui gère le camp de pêche de la rivière Grimsa, que je n’avais pas vu depuis six ans. Et compris que la richesse du monde vient de toutes ces cultures qui nourrissent la diversité, que l’essentiel est de s’assurer que nous les protégions comme la prunelle de nos yeux. Comme nous cherchons à protéger toutes les espèces animales. Le grand piège est d’éviter l’assimilation qui paraît de plus en plus imminente par une culture impérialiste qui détruit tout sur son passage. Je me dis que si le reste du Canada parlait l’islandais, la question constitutionnelle aurait été réglée depuis longtemps parce qu’il aurait compris l’importance de la différence. Le drame est que le reste du Canada parle la même langue que les États-Unis.
Puis je me suis demandé si notre véritable objectif en tant que province ne devrait pas être de récupérer de façon administrative tout ce qui nous permettrait de maintenir et même de renforcer notre identité qui s’exprime à travers la culture et les médias, avec au premier rang le CRTC, puis Radio-Canada, Téléfilm et j’en passe. Je suis fier d’être Canadien, je crois à la force d’une confédération qui se distingue catégoriquement des États-Unis par ses valeurs progressistes communes, mais en même temps, je chéris mon identité francophone, et j’ai de plus en plus de misère à faire confiance au Canada pour la protéger. Je retourne maintenant pêcher, sachant bien que je viens peut-être de sortir l’un de mes plus gros saumons…
Que j’aime ce commentaire! Je suis pas mal à la même place que vous côté Canada-Québec….mêmes interrogations et souvent tiraillée…Je vous envie en Islande…Profitez-en bien et continuez de nous partager vos ponts de vue plein de sagesse et d’humanité. Merci!
Très beau texte, M. Taillefer, j’en ai eu des frissons! Comme vous, je me demande comment mais il faut à tout prix sauver notre langue et notre culture! En à peine 100 ans, à la Nouvelle-Orléans, ils ont tout perdu; plus personne, sauf les très vieux grands-parents, ne parle français! C’est très vite, 100 ans pour tout perdre!! Je ne le verrai pas, mais peut-être que ma fille oui, si on ne fait rien….
…je chéris mon identité francophone, et j’ai de plus en plus de misère à faire confiance au Canada pour la protéger.
Moi aussi!
J’ai lu avec grand intérêt votre commentaire et je suis 100% d’accord avec votre opinion. Votre texte est clair et je partage votre point de vue. Bravo!!!!
Une réflexion des plus honnêtes et oh combien pertinente!
J’ai entendu dire qu’il y aurait beaucoup de poissons d’eau douce nageant dans les estrades de la course de Formule E, à Montréal, aujourd’hui! Vous êtes pas au « courant »?
J’ai visité l’Islande et j’y retournerais demain matin! Ce qui m’a frappé chez eux, c’est une identité très forte, immense, mais qui s’efface avec la jeunesse actuelle, anglo, internationale, wifi, qui revendique le droit de quitter entre autre le leg des noms propres et le droit d’avoir des prénoms non scandinaves. Pour moi, le Canada est américain: il est prêt à absorber et adopter ma culture, du moment que cela rapporte à BayStreet et ne dérange pas trop.
Un texte intelligent et sérieux.
Nous pourrions y arriver si chacun savouraient une seule et bonne bière Irlandaise. Laissons le Québec signer la Constitution et acceptons sa diversité comme nation.
Les autres demandes suivront le désir de chacun de vouloir réellement négocier…..
Bel article bien présenté, comme un appétissant tartare de saumon!
Il reste que la protection de notre identité ne passe pas par une reconnaissance juridique mais plutôt par une confirmation juridique de celle-ci! Car nous sommes déjà une nation, même Stephen Harper le disait lui-même, avec tout ce que cela comporte. Il ne reste que de confirmer le statut juridique de notre nation. Et la nation québécoise est bien sûr inclusive et je crois qu’il est temps de faire comprendre à nos amis et voisins anglophones et allophones que la création de Québec en tant que pays n’est pas ni le rejet de ce qu’ils sont et encore moins de ce que représente le Canada. Canada qui pourrait devenir un espace tel qu’est l’Europe aujourd’hui. Je crois profondément qu’il est temps que nous partagions et répétition ces idées d’inclusivité si haut mentionnées à fin de faire basculer le statut de notre province vers le pays que nous méritons tous.
Le saumon québécois ne sera vraiment bien protégé que lorsqu’il aura pu clairement, comme l’Islande, se tailler une place bien à lui dans l’océan. Mais que veut donc le saumon québécois : one single nation coast to coast ou deux belles nations côte à côte?
J’aime bien votre réflexion…maintenant passons à l’action!
Comme tout le monde (2 commentaires) semble »soumis » à votre vision fédérale canadienne, comment oserais-je la remettre en question et, par le fait même, émettre mes réserves à celle du docteur Philippe Couillard de Lespinay, lui qui sait si bien taquiner les 7 millions de »poissons » à qui il fait prendre la mouche au bout sa ligne et qui, manifestement, bouffe à la même cantine que vous? Bon appétit, messieurs!
Pour quelle raison, monsieur Taillefer, êtes-vous persuadé qu’il soit profitable et plus louable pour le Québec, en tant que minorité méprisée de tout temps et toujours par la majorité anglaise, de tenter « dans la dignité » d’intégrer une nation qui certes, porte en elle des valeurs de progressisme et d’égalité, mais refuse de nous reconnaître comme son égal ? Pourquoi ce refus d’envisager sérieusement l’indépendance, la seule manière logique de faire valoir notre droit à exister pleinement dans le monde et à maîtriser tous les pouvoirs dont un peuple intègre est constitué, à l’instar de tout être humain autonome au plan individuel ? Posez-vous la question, en admirant la culture d’un peuple des dizaines de fois plus petit que le Québec.
Je sens beaucoup d’inquiétude dans vos commentaires. Oui, nos racines, notre langue, notre culture sont en danger. C’est un leurre de penser qu’en récupérant de façon administrative le CRTC, R.C, Téléfilm etc… nous allons renforcer et maintenir notre identité. Cette question aurait dû être réglée depuis longtemps et nous l’avons refusée 2 fois. Ouvrez-vous les yeux, en quoi les Québécois peuvent- ils être fiers en ce moment. Nous sommes gouvernés par des bouffons, sans visions, tous partis confondus. Heureusement l’humour débile, les courses de chars électriques et à gaz, les festivals, nous empêchent de réfléchir sur notre médiocrité. Je suis d’accord avec vous pour la pêche à la mouche, ça permet de réfléchir.
L’Islande est un pays dans une Union entre nations européennes.
Le Québec est une « province » dans un pays « post-national » où l’identité est rejetée!
Pour protéger notre culture, il faut faire l’indépendance pour se faire respecter en tant que nation et se donner les leviers de négociation d’une Union Nord-Américaine.
Malheureusement, les fédéralistes manquent de confiance en eux-mêmes et depuis 40 ans nous mènent à la lente et agonisante mort de notre culture.
Bonjour,
je trouve que vous ouvrez un débat très intéresssant en abordant l’identité québécoise à partir de la pêche au saumon. En effet, ce poisson et le mode de vie qui entoure sa pêche est l’un des emblêmes les plus puissants des droits autochtones. Je n’ai pas lu le livre de M. Couillard, mais ce que je sais de ses politiques libérales me pousse à croire qu’elles souillent les ressources et les richesses de nos régions québécoises pour en donnant libre cours aux entreprises étrangères sur nos sous-sols pour des retombées économiques très minimes. Le fort mouvement identitaire francophone depuis les années ’60, malgré ses avantages, a refoulé une partie importante de l’identité québécoise: son métissage et la société mixte qui la composait jusqu’à l’invasion britanique. C’est cela que Louis Rielle et les premiers patriotes défendaient contre John McDonald. Pour un peuple qui avait alors bien plus d’appartenance à la terre d’accueil et au savoir-faire autochtone qu’à la couronne française, le sentiment progressif d’infériorité et le besoin de se rattacher à une civilisation dominante aura causé de graves entraves à sa propre culture et à celle des communautés avec lesquelles il cohabitait. Ainsi, les politiques de M. Trudeau, qui semblent redonner la parole et des ressources aux Premières nations sont à mon sens beaucoup plus bénéfiques pour la vraie identité du Québec que les lois de Couillard, dictées par le lobby des pétrolières.