Ce qui est surprenant avec la fiscalité, c’est de voir à quel point est incompris et jugé inintéressant quelque chose de pourtant omniprésent dans nos vies – notre plus important partenaire, en fait. On envoie une grande partie de notre chèque de paye, mais l’allocation de ces dollars est floue. Quel quidam peut se vanter de connaître le budget annuel du Québec, l’allocation qu’il fait en santé et en éducation, et la provenance de ses revenus?
J’ai reçu une invitation à donner une conférence lors du 6e Symposium en fiscalité qui a eu lieu à l’Université Laval à Québec en juin dernier. Moi? Parler de fiscalité? Je sais à peine en baragouiner… Je me suis interrogé sur les raisons et surtout ma légitimité à parler devant des experts. Puis j’ai compris qu’ils ne cherchaient pas de moi une analyse technique du dernier jugement de la Cour, mais plutôt une réflexion d’un citoyen observateur.
Une idée que je retiens à la suite de la lecture des différentes présentations qui ont été données durant le séminaire à Québec est qu’une tendance semble émerger dans le monde de la fiscalité. Bien qu’elle doive continuer à appliquer la loi et la jurisprudence à la lettre, la Cour de l’impôt prendrait de plus en plus en compte la question morale afin d’alimenter son jugement. Bien sûr, la définition de la morale peut être très élastique, mais c’est très intéressant de savoir que le débat se déplace peut-être ailleurs, dans une autre stratosphère, dans celle des intentions originales.
Je vous mentirais si je vous disais que la fiscalité ne m’intéresse pas. Pour avoir été dirigeant d’entreprises depuis 25 ans, une compréhension de base des concepts fiscaux a toujours été importante. J’ai eu la chance de payer beaucoup d’impôts et de côtoyer des professionnels qui m’ont accompagné dans la mise en place de ce qu’ils appellent une optimisation fiscale. Optimiser, parce que la loi est si complexe, si épaisse (plus de 3000 pages) et si tortueuse qu’elle oblige l’embauche de milliers de spécialistes qui aident ceux qui ont les moyens de les rémunérer à diminuer leur facture fiscale. C’est évident qu’une entreprise qui paye des dizaines de millions de dollars en impôts annuellement serait folle de ne pas examiner ses autres options fiscales. En fait, un PDG qui ne se soucie pas de cette importante ponction annuelle est considéré comme ne faisant pas bien son travail.
La plupart des commentaires et des opinions entourant la fiscalité sont souvent acerbes envers les riches et les entreprises. Entretenues par des écrits démagogues et souvent incendiaires (je pense entre autres au livre d’Alain Deneault intitulé Une escroquerie légalisée qui commence avec la phrase suivante : «Lorsqu’on attend quarante minutes un autobus à moins 20 degrés Celcius, c’est à cause des paradis fiscaux.»). Ces prises de parole rendent la population très méfiante, voire méprisante envers le 1% et les entreprises, sans discernement, alors que ces derniers assument une part très importante de nos recettes fiscales.
Nul besoin ici de rouler les yeux et de vous dire: «On le sait bien, un riche qui va nous expliquer qu’y en a pas de problème.» Il ne fait pas de doute que certains trichent. Certains trichent même beaucoup. Mais il est difficile de déterminer avec certitude de combien. Ce que je sais par contre, c’est que les médias amplifient les choses et laissent parfois croire que le Québec et le Canada n’auraient plus de dettes si les riches payaient leur juste part. C’est du grand n’importe quoi. L’effort doit provenir de partout. S’il y a des sommes non déclarées dans les paradis fiscaux, il y a aussi des milliards qui transitent au noir chaque année, particulièrement dans le domaine de la construction, puis d’autres milliards qui sont subtilisés par des déductions injustifiées.
Il m’apparaît important ici de parler de deux éléments de base en fiscalité. D’abord, le principe d’intégration fiscale. L’intégration fiscale cherche à taxer les revenus de façon égale, qu’ils transitent par une entreprise, un fonds de pension ou qu’ils soient gagnés directement par un citoyen. C’est la raison pour laquelle un dividende est taxé de façon moins élevée qu’un salaire. L’entreprise a déjà payé une partie des impôts. En d’autres mots, une entreprise pourrait ne pas être taxée du tout, à condition que le propriétaire qui reçoit les profits de l’entreprise le soit au même niveau qu’un employé. Et vice versa. Ce principe est important à comprendre. Les entreprises sont détenues par des citoyens. Et l’objectif est d’appliquer une table d’imposition équivalente pour tous, et ce taux doit être en fonction de leurs revenus totaux.
Ensuite, il est important de comprendre la différence entre évitement et évasion. L’évitement est l’utilisation de structures légales (mais peut-être pas morales) permettant de diminuer et de reporter de l’impôt. Avoir de l’argent dans un paradis fiscal n’est pas toujours illégal. Des juridictions qui offrent des taux d’imposition très bas attirent des entreprises qui vont y reconnaître des revenus. Ces revenus devront toujours par la suite revenir aux actionnaires et donc dans les pays d’origine. Mais l’impôt peut y être reporté pendant des décennies. En toute légalité. L’évasion c’est de l’argent non déclaré; ce sont des gestes illégaux qui permettent d’éviter de payer sa juste part.
J’étais dernièrement l’un des signataires d’une lettre ouverte saluant les efforts du gouvernement Trudeau quant à la réforme fiscale que son ministre des Finances, Bill Morneau, compte mettre en place. Je ne suis pas d’accord avec toutes ses propositions, je m’oppose entre autres à une taxation plus importante des revenus passifs générés par les entreprises et à toute forme de rétroactivité liée à l’introduction de nouvelles règles fiscales. On ne peut pas changer les règles du jeu en cours de route et avoir ainsi un impact sur les finances de centaines de milliers de cotisants qui ont agi et planifié en fonction des règles d’alors. Mais je salue la volonté d’ouvrir un dialogue et de cibler les iniquités et les incongruités. Nul n’est censé ignorer la loi, mais nul ne devrait avoir à lire 3000 pages pour la comprendre et la faire jouer en sa faveur.
Je ne suis qu’un simple citoyen et mon opinion ne vaut sûrement pas grand-chose auprès des professionnels. On me traitera d’utopiste, mais je me demande si la Loi de l’impôt sur le revenu ne devrait pas être rapportée à sa plus simple expression, à quelques dizaines de pages, et que tout ce qui touche les mesures de développement économique et social devrait en être évacué afin de ne pas alourdir et complexifier inutilement cette loi. Je demande en fait si on ne devrait pas faire table rase et établir ensemble ce que devrait être moralement le fardeau fiscal de tous afin d’atteindre des objectifs communs, dont l’amoindrissement des iniquités. Une vraie réforme n’aura de sens que si tous les volets sont attaqués sans complaisance. Me semble que ça constituerait une bonne base…
« C’est la raison pour laquelle un dividende est taxé de façon moins élevée qu’un salaire. L’entreprise a déjà payé une partie des impôts. »
VRAI
« Avoir de l’argent dans un paradis fiscal n’est pas toujours illégal. Des juridictions qui offrent des taux d’imposition très bas attirent des entreprises qui vont y reconnaître des revenus. Ces revenus devront toujours par la suite revenir aux actionnaires et donc dans les pays d’origine. »
Encore VRAI.
Prenons un exemple avec des chiffres fictifs. Une entreprise réalise $10M de profits. Si elle paie ses impôts au Canada, elle paiera, mettons, $3M (30%). Elle va donc distribué $7M en dividendes, sur lesquels elle a déjà payé sa part d’impôt.
Si elle s’arrange pour déclarer ses profits dans une île du sud, elle paiera 1% d’impôt. Ensuite, elle les rapatrie dans le plusse meilleur pays du monde. La fiscalité de ce pays dit que si vous avez déjà payé de l’impôt ailleurs, vous n’aurez pas à en payer ici. C’est donc $10M, moins des poussières, qui seront alors versé en dividendes aux actionnaires. Ces dividendes seront donc 30% plus élevé que dans le cas où les profits seraient déclaré au Canada.
Il y a des gagnants et des perdants dans une telle opération. Toutefois, comme vous dites, tout cela est parfaitement légal.
Rappelez-vous le cas de la Canada Steamship Line. Cette compagnie a évité des millions en impôts dans la plus parfaite légalité.
C’est facile quand le propriétaire s’adonne à être le Premier Ministre de Canada, et qu’il fait modifier les lois fiscales pour avantager outrageusement sa compagnie.
C’est difficile d’être illégal quand c’est soi-même qui édicte les lois.
Peut-être que vous devriez lire le livre de Deneault au complet.
« Je ne suis qu’un simple citoyen et mon opinion ne vaut sûrement pas grand-chose auprès des professionnels » dit il après avoir affirmé qu’Alain Deneault ferait preuve de démagogie. Faut le faire!
« Pour ce faire, être riche ne suffit pas pour persuader autrui de ses vues ‒ l’argent n’a jamais acheté l’intelligence. Il faut posséder soi-même des médias et les utiliser pour distribuer les étiquettes mélioratives ou diffamantes, selon les sujets. Plus on se montrera docile avec le discours intéressé des puissants, plus on se verra qualifié de moderne, pondéré, raisonnable, rationnel, normal et même courageux. Plus on fera preuve de pensée critique, plus on travaillera à mettre les problèmes en perspective en réfléchissant véritablement aux causes et aux effets, plus le pouvoir d’étiquetage des oligarques qui détiennent les médias, c’est-à-dire in fine un droit sur la réputation d’autrui, se manifestera gratuitement. »
http://iris-recherche.qc.ca/blogue/l-extreme-centre-mou-bis-les-fils-blancs-d-alexandre-taillefer
La réponse sur http://iris-recherche.qc.ca/blogue/l-extreme-centre-mou-bis-les-fils-blancs-d-alexandre-taillefer
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Les premiers à décrier les hauts salariés sont souvent aussi ceux qui travaillent au noir ou font faire des travaux au noir. Le travail au noir c’est du vol collectif. Je travaille et je paie mes impôts, j’ai des immeubles locatifs et je paie mes impôts, j’exige des factures pour tous mes travaux y compris ceux que je fais faire dans ma propre maison. Notre système social j’y crois et je ne veux surtout pas d’un système sans coeur comme celui des Américains. Au Canada, nous avons une société qui prend soin de ses enfants, de ses personnes âgées, de ses démunis, même de ses prisonniers. C’est ce en quoi je crois. Cependant, bien des injustices sont commises. Un locataire qui se sauve sans payer plusieurs mois de loyer, une Régie du logement qui n’accepte pas le dépôt pour rembourser les appartements cassés. Ça c’est de l’injustice envers d’honnêtes propriétaires qui gardent, malgré tout, leur parc immobilier en bon état. Mais plusieurs sont à bout de souffle face à ces vols tolérés par un système complaisant.
Récemment, un entrepreneur se plaignait d’avoir à payer $10 000 d’impôt fédéral/provincial…. alors que moi, simple employé, en payait près $25 000!
Le paradoxe c’est qu’il vivait dans une maison trois fois le prix de la mienne, en fait, tout ce qu’il possédait était 3 fois le prix de mes affaires… sans parlez les choses que je ne possédais même pas!
Malgré tout, il y avait quelque chose de comique dans ses lamentations…
Merci et bravo pour votre proposition. Nul n’est censé ignorer la loi, dit-on, mais s’il n’y a que les fiscalistes pour s’y retrouver, les règles du jeu sont à revoir… La loi devrait être accessible au simple citoyen, en particulier lorsqu’il est question de son argent et de celui qu’il n’a pas les moyens de dépenser en services financiers.
Moi aussi je crois que les règles de l’impôt devrait tenir sur une dizaine de pages. Éliminons 10 lignes par année serait un bon début. Aussi, éliminer un palier de gouvernement (un seul rapport d’Impôt) serait bénéfique. Je paye 2 fonctionnaires pour vérifier 2 rapports qui ont des règles différentes. On s’approche de la tour de babel !
Ainsi est fait le filet de la fiscalité… capture les petits poissons tout en laissant passer les gros!
Bonjour,
J’aime bien lire les articles de la plume de M. Taillefer habituellement. Bien écrits, ils apportent souvent des éléments intéressants et une perspective nouvelle. Par contre, la pertinence de celui-ci n’aura pas survécue longtemps et l’article se fait rattraper par l’actualité avec la découverte des «paradise paper». Qualifier l’analyse d’Alain Denault comme «incendiaire et démagogue» me semble carrément passer à côté de la plaque en matière d’évasion fiscale alors qu’il s’agit d’un auteur/chercheur rigoureux qui n’hésite pas à dénoncer le statu quo d’une situation injustifiable . Allez jeter un coup d’oeil aux chiffres de cet article de Gérald Fillion à Radio-Canada et voyons voir qui rend la population «méprisante envers le 1%», M. Denault ou l’élite politique et financière canadienne elle-même?
http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1065850/canada-paradis-fiscaux-fiscalite-