—NDLR – Cette chronique d’Alexandre Taillefer a été rédigée au courant du mois d’avril 2018 et publiée dans le magazine Voir, édition de mai, avant l’annonce de son association avec le Parti libéral du Québec à titre de président de la campagne électorale du PLQ. Il s’agit de sa dernière chronique qui sera publiée dans nos pages.—
Je veux pondre une chronique sur l’immigration depuis quelques mois déjà. Je dévoile d’emblée que j’ai un parti pris pour l’augmentation des seuils actuellement en place et que je m’inquiète des effets néfastes qu’ont les positions de certains partis politiques sur l’accueil que réservent les Québécois aux immigrants actuels. De tout temps, nous avons été un pays extrêmement accueillant. Pour une ville comme Montréal, dont la population est composée à 40% d’immigrants de première et de seconde génération, il me semble que nos politiques d’intégration ont plutôt bien fonctionné. À ce titre, je suis de l’école de Michel C. Auger.
Je défends l’immigration pour des fins humanitaires d’abord, parce que je suis moi-même le fruit de l’immigration irlandaise du 18e ou 19e siècle (on ne s’enfargera pas dans les fleurs du tapis pour une centaine d’années), et que ma fille est immigrante de quatrième génération selon la définition qu’en font les statisticiens. Ses arrière-grands-parents sont nés au Liban. Quand je vois Daphnée, ma fille, je vois une adolescente profondément québécoise qui, comme la majorité des filles de son âge, écoute trop de musique anglophone à mon goût et trouve les anglicismes un peu trop cool à mon goût. Mais quand je l’entends citer Martin Léon ou chanter Faufile de Charlotte Cardin par cœur avec émotion, je me dis que le labourage est fait.
Comme souvent, j’allais écrire cette chronique en me fiant à des chiffres et à des statistiques afin de démontrer qu’en sus des aspects humanitaires, l’immigration était cruciale à notre économie, à cause du vieillissement de la population, de la pénurie d’emploi et du taux de natalité trop bas. J’ai entrepris mes recherches et mes réflexions. Je suis tombé sur certains écrits qui dépeignaient un portrait plus nuancé que je l’espérais. D’abord un mémoire préparé par l’économiste Pierre Fortin intitulé Remarques sur les avantages économiques de l’immigration, puis une étude préparée par les économistes Boudarbat et Grenier et entérinée par le CIRANO, L’impact de l’immigration sur la dynamique économique du Québec. Deux sources que je respecte énormément. J’étais contrarié. Et je me suis mis à penser à toutes sortes de contre-arguments, certains plus valables que d’autres. Je suis heureusement tombé sur le texte «Revirement majeur pour les immigrés», signé par Francis Vailles dans La Presse. L’évolution des tendances me donne enfin raison, me confortais-je.
Je déteste les positions partisanes, sauf quand elles penchent du même bord que les miennes. Je ne suis pas plus fin qu’un autre, on est humain après tout. Et je me rends compte avec l’âge qu’être humain, c’est malheureusement être biaisé par tout notre bagage: notre éducation, nos expériences, nos relations, ce qu’on lit et qui on écoute. Rares sont les vierges émotionnelles qui peuvent faire abstraction de tout ce qui les a teintées et qui peuvent analyser froidement une situation et en tirer des conclusions. On devrait faire plus de place à nos sages. Mais ils ne sont pas assez polémistes. On préfère les fendants et les tranchants aux éclairants.
La vie serait tellement plus simple si on déclarait d’emblée nos biais. Certains sont très faciles à reconnaître de loin. On s’entend que l’Institut économique de Montréal n’est pas pour le bien commun, il n’y croit simplement pas, ou que la Société Saint-Jean-Baptiste n’est pas pour une hausse des seuils d’immigration, ça va nuire au prochain référendum. Ces deux-là sont faciles. Certains politiciens ont aussi ce mérite, comme Maxime Bernier, qui ne fera jamais de compromis sur ses positions libertariennes même si ça doit lui coûter la victoire à la course à la chefferie des conservateurs, qui ne sont pourtant plus très progressistes. Je le félicite pour sa transparence.
L’enjeu se situe dans ce qu’on appelle nos convictions, celles qui influencent nos gestes et définissent nos positions face à tel ou tel enjeu, des plus simples au plus sérieux, malgré les faits. Les gens se lancent en politique pour elles. Et ils veulent tellement se faire élire qu’ils sont prêts à en pervertir une ou deux. Si ce ne sont effectivement que deux petites convictions de rien, ce n’est pas si grave. Mais s’il s’agit de convictions profondes, attention. Ça, c’est de l’usurpation pure et simple qui mériterait, si c’était possible, d’annuler des élections pour fraude.
Je ne sais pas si vous vous en êtes rendu compte, mais nous sommes entrés en campagne électorale. Mai ne sera pas que le mois de Marie, il sera le mois le plus beau pour les belles annonces. Dans la plus pure tradition électoraliste, le parti en place tentera de plaire à tous et à son beau-frère. Ne me dites pas que c’est propre aux libéraux, c’est de tout temps. Puis le temps va suspendre son vol tôt en juin. Les couteaux vont ressortir tranquillement en août et voleront de plus en plus bas après la fête du Travail. On saura qui sera notre premier ministre le 1er octobre.
Je vais vous faire une confidence. Ça fait presque 20 ans que je suis avec Debbie, ma femme d’amour. Je vous rassure, messieurs, malgré mon image médiatique impeccable, tout n’est pas toujours parfait, surtout pour elle bien sûr. Mais je connais ses convictions profondes et à tous points de vue nous partageons les mêmes. Jamais il ne me viendrait l’idée de la quitter si nos valeurs profondes respectives étaient toujours semblables. Mais si c’était malheureusement le cas un jour, je ne déménagerais jamais sans connaître hors de tout doute les convictions profondes de ma nouvelle blonde. Parce que s’il fallait que la ventriloque se change en dompteur…