Des clics et des claques

La mort tant attendue de Facebook

Pourquoi souhaite-t-on tant que le géant meure?

La mort souhaitée de Facebook

C’est peut-être notre tendance culturelle à toujours chercher la « relève » qui nous pousse à chercher le successeur de Facebook avec une étrange énergie.

C’est très rare qu’on partage les pensées d’une fille (ou même d’un garçon) de treize ans dans mes réseaux sociaux. Mais c’est arrivé massivement lorsque cette New-Yorkaise a révélé dans un article que Facebook, c’était chose du passé, un réseau social désuet utilisé surtout par les parents, preuve inaliénable de son aspect archaïque. L’article a été partagé 36 000 fois sur Facebook.

Radio-Canada a emboité le pas en interviewant des adolescentes qui affirmaient aussi délaisser le réseau de Mark Zuckerberg au profit de l’air frais et de la discussion avec les gens (puisqu’une présence sur les médias sociaux et une vie active, sociale et riche semblent être absolument incompatibles). La vérité sort de la bouche des enfants et des ivrognes, dit-on : la mort de Facebook était donc annoncée par la nouvelle génération, à qui on tendait une oreille conditionnelle au fait que les propos confirmaient exactement ce qu’on souhaitait.

Mais pourquoi souhaite-t-on tant que cette mort annoncée se confirme? Est-ce que c’est parce qu’on a initialement perçu Facebook comme quelque chose de frivole, pas si sérieux, et que la réalité ne cesse de nous prouver le contraire? Mais au lieu d’accepter son importance, on garde notre perception initiale de frivolité et légèreté, en se moquant de ceux qui en constatent l’importance?

VKQ

Ensuite est arrivée l’histoire de VK, ou plutôt, l’histoire de l’exercice d’influence de Matthieu Bonin. Cet article du très pertinent Joël Martel explique comment ce réseau social russe, très similaire à Facebook et créé deux ans après le géant bleu et blanc, a connu une soudaine popularité auprès de la population québécoise, autrefois carrément absente du site.

Il avance que l’absence de censure est une des causes probables, le partage de photos coquines et d’insultes grivoises étant apparemment une attitude répandue sur VK. Aussi, la grande popularité de Facebook a fait en sorte qu’on y est tous, chacun étant le Big Brother de l’autre. Ta copine sait si tu likes une photo d’une amie à elle en bikini, ton patron sait si tu commentes tandis que tu devrais travailler, et ta mère sait que tu bois tandis que tu devrais te cultiver. La solution? Non pas changer les conditions de publication (on peut cacher certaines publications à certains groupes), mais bien déserter Facebook pour un terrain de jeu moins restrictif.

La théorie tient la route, mais j’ai vraiment l’impression que la récente popularité du site était dû à une campagne de marketing guérilla (je n’insinue pas ici qu’ils étaient payés pour le faire, seulement vraiment motivés) menée par Matthieu Bonin en chef de file, suivis de Mathieu St-Onge et Gab Roy, les trois réelles vedettes du VKQ. Il s’agit, selon moi, de la manifestation officielle de la force d’attraction de Matthieu Bonin plutôt que la victoire naturelle d’un site supérieur à un autre. Avec ses 70 000 abonnés (ou abonins, néologisme issu de la langue de Joël Martel), Bonin est une force incroyable du web, et il doit être tentant d’utiliser sa force de temps en temps. De manière complètement inoffensive, en plus. Expérience web très intéressante. Je me demande s’il s’agit d’un feu de paille ou d’un phénomène de longue durée.

Tirons sur la grosse cible?

Mais je reviens à ma question : pourquoi souhaite-t-on tant la mort de Facebook? À part son manque de respect évident et répertorié de la vie privée de ses utilisateurs, pourquoi ce rejet? Les autres sites et compagnies sont à peu près toutes coupables de cette intrusion dans nos vies privées.

Facebook aurait pu mourir lors de sa ridicule entrée en bourse, teintée par le scandale et l’avarice. Mais pourtant le réseau survit, et grandit même : en trois ans, Facebook a recruté 53 millions d’utilisateurs en Inde, qui l’utilisent surtout pour sa messagerie sur téléphone intelligent. Parler de la désuétude du réseau suite au propos d’une jeune New Yorkaise tandis que 50 millions d’Indiens l’adoptent, n’est-ce pas une forme d’ethnocentrisme ridicule?

On approche le milliard d’utilisateurs (si on ne l’a pas dépassé) et la décennie de présence indéniable et d’influence sociale, mais pourtant sa mort est annoncée, comme un souhait récurrent que je ne comprends pas

J’ai l’impression qu’il s’agit encore d’auto-flagellation inutile : on condamne une pratique répandue et courante, tout simplement parce qu’on a l’impression qu’elle est mauvaise, vu que ce jugement et si facile et si répandu. Et on ne changera pas nos habitudes : la baleine mourra avant que les planctons ne l’abandonnent. Et bien qu’on aura fréquenté le site, on pourra au moins dire que nous, on l’a vu venir, cette mort.

Et d’ici là, on discutera de la fin de Facebook sur Facebook.