Des clics et des claques

Les limites de l’indignation ou chialer contre le chialage

Stéphane Hessel ne serait pas fier de moi.

Je suis peut-être blasé, mais la rage impérialiste de Bill O’Reilly ne m’indigne plus. Ni la complaisance de Fox News envers un conservatisme américain abject et caricatural. Ni la mauvaise foi de Sun News quand ça vient à l’argent des contribuables et à la carrière d’une artiste importante. Devant les yeux de l’éternel indigné, il y a des dirigeants, menteurs, manipulateurs et parfois meurtriers d’un côté, et de l’autre, leurs clowns, ces pantins justificateurs qui tordront la logique et le bon goût pour défendre leurs propres intérêts de manière éhontée.

Mais ça, on le sait, non? Partager la vidéo de la journaliste de Fox News qui critique un théologien musulman parce qu’il a publié un livre sur Jésus, c’est s’indigner par rapport à la raison d’être même d’une station: conforter certains dans leur ignorance, choquer d’autres dans leur rectitude politique. Le temps passé à partager (et donc promouvoir) l’aberrant n’aurait-il pas pu être consacré à dévoiler le sublime, le rigoureux, le factuel? À l’ère des réseaux sociaux, nous avons le pouvoir de nous transformer en petits médias. Bien que mon message n’atteindra jamais les masses de Fox News (pour n’utiliser que cet exemple), j’ai la possibilité, via la multitude de sources, via les vérifications récurrentes, via le dialogue, de diffuser de l’information au lieu de dénoncer la désinformation.

Je fais souvent des rapprochements entre le Web et 1984, de George Orwell. La novlangue, d’abord (LOL WTF nOOb pr0n inb4 gtfo BRB), mais aussi les deux minutes de la haine, ce moment cathartique collectif dans le roman qui permet à une population opprimée par le gouvernement de détester un traître choisi par celui-ci: pendant deux minutes, tout le monde déverse son fiel, avant de tranquillement retourner chez soi. Les deux minutes de la haine, est-ce que ça ne s’applique pas à Duhaime et Martineau régulièrement, mais aussi à la journaliste de Sun News, à la fille qui jette des chiens, au violeur devenu possiblement sidéen, à Georges Zimmerman, et j’en passe? Chaque semaine, un individu fait le tour de notre Web en nous frustrant, nous inspirant des injures rapides et un oubli presque immédiat.

Je sais, rien n’est étanche: on peut bien faire les deux, on peut se plaindre et agir. Mais je me demande si on peut atteindre les limites de l’indignation. C’est une étape nécessaire à la vie, je crois, un processus cégépien et noble: ouvrir les yeux sur ce monde cruel et horrible, et constater. Mais après l’indignation, si celle-ci est sincère, si elle n’est pas l’expression satisfaite de notre pessimisme paresseux, il faut de l’investigation, suivie de l’action. L’indignation ne devient-elle que lamentation? On essaie peut-être d’instruire nos proches, mais les aide-t-on?

J’admire ceux qui agissent. Ceux qui tentent de résoudre le problème plutôt que de le regarder, vraiment longtemps, en espérant qu’il change parce que c’est comme cela que ça devrait être. Je pense à ce militant qui, malgré tous ses abus d’apostrophes populistes dans ses statuts Facebook, agit. À cet ancien collègue universitaire devenu journaliste intègre et allumé que je respecte infiniment. À mon ami réalisateur qui créé avec un esprit de fête et de combativité mille fois plus fort que le mien. À mes propres collègues de travail ici. J’ai la chance inouïe d’être entouré de gens qui ne font pas seulement que voir un monde meilleur, mais qui le construisent.