Mea Media Culpa
Des clics et des claques

Mea Media Culpa

Les gens courront, écriront et mourront sans l’influence de ma plume, et il était temps que je m’en rende compte.

J’étais sur le point de féliciter un ami pour la publication éventuelle de son premier roman quand j’ai soudainement effacé le statut Facebook au lieu de le publier. On discutait en privé depuis quelques mois à propos de son bébé littéraire, il m’avait annoncé la nouvelle par conversation instantanée le jour même et j’avais «liké» et commenté son statut annonçant la bonne nouvelle. Le principal intéressé savait à quel point j’étais fier de lui.

Au moment où j’allais écrire le statut, j’ai pris conscience de certaines notions malsaines qui motivaient ma publication: soit je donnais à cet ami ma bénédiction publique, qui allait probablement stimuler un «like» et un remerciement sincère de sa part  (comme si mon opinion importait à tel point que la rendre publique légitimait davantage sa fierté personnelle), soit je montrais à mes contacts à quel point j’étais branché grâce à un scoop littéraire: non, non, moi je n’ai rien fait, je n’ai pas publié de livre, mais je connais quelqu’un qui va le faire, et je l’ai su avant vous en plus de ça.

La même tentation est survenue lors du marathon de Montréal ce week-end. J’avais l’irrésistible envie de féliciter les coureurs, de rédiger une petite note bien formulée qui témoignerait de leur bravoure et de leur folie. Comprendre leur détermination permettrait de me l’approprier un peu. Je n’ai pas couru mais je félicite ceux qui le font. Je fais donc partie de la solution de l’heure même si je n’y participe aucunement. Il ne suffisait pas de féliciter ces gens que j’ai côtoyés avant leur journée importante, il fallait que j’y appose mon étampe approbatrice, comme un pape se faisant baiser la bague par un chevalier.

C’est comme écrire un statut pour affirmer que nos pensées vont aux familles des victimes d’un récent drame humain, imitant maladroitement les formules politiques déjà quasiment vides de sens. Voici la vérité choquante, brutale, évidente: les familles des victimes s’en contre-foutent de mes élucubrations personnelles. Barack Obama est obligé de le faire. C’est une obligation politique. Le citoyen lambda n’a pas besoin d’utiliser des cadavres frais pour illustrer l’étendue de sa compassion humaine. Les coureurs ne frappent pas le sol avec courage pendant des kilomètres et des heures en pensant à ma jolie formule d’encouragement. Cet ami Facebook, que je n’ai pas vu en personne depuis plus d’une décennie mais que je respecte infiniment, n’a pas besoin de ma plume pour valoriser la sienne.

Bien que les coureurs et l’auteur cliqueraient probablement sur «like» tandis qu’ils verraient passer mon commentaire encourageant (et des dizaines ou centaines d’autres identiques) sur leur fil d’actualité, ils commettraient un geste complètement anodin qui, lorsque multiplié, me donnerait une fausse impression de mon importance virtuelle et réelle. En vérité je n’en ai pas. Les gens courront, écriront et mourront sans l’influence de ma plume, et il était temps que je m’en rende compte.

Ce sont peut-être les conséquences inévitables d’une certaine entrée de jeu dans le domaine des médias (autant sociaux que traditionnels) composés de remerciements, de tapes sur l’épaule, de tags et de crédits de trouvailles qui accordent presque plus d’importance au crédit qu’à la trouvaille. C’est un monde d’éternels retours d’ascenseurs dans un tout petit immeuble.

Il s’agit ici d’une confession personnelle: je n’avance pas que cette attitude soit répandue et systématique dans quelconque milieu ou que ceux qui agissent comme tel le font avec les mêmes prédispositions psychologiques que moi. Mais en me voyant emprunter cette route dans un délire composé de ma propre importance, il me fallait prendre du recul pour réaliser que je ne suis pas obligé d’adopter les codes du club-école de la célébrité habituée aux communiqués de presse et aux messages de sympathie et de soutien.

Je continuerai de promouvoir ce que je trouve de qualité et de féliciter mes amis dont je suis fier, seulement je n’utiliserai pas ma tribune pour leur montrer la supposée grandeur d’âme d’un allié les mettant en valeur: parce qu’ils savent, autant que moi maintenant, que le roi est nu. Je pourrai désormais célébrer la grandeur sans me faire d’illusions sur la mienne.