Y a-t-il surenchère d'idées?
Des clics et des claques

Y a-t-il surenchère d’idées?

Plus que l’argent, dans notre milieu, ce sont les idées qui servent de monnaie d’échange.

Les journalistes commencent leurs textes avec des leads, moi je commence avec des bémols. Ce qui suit n’est pas une analyse d’habitudes répandues et populaires, plutôt il s’agit d’observer le milieu, étroit et rapide, dans lequel nous évoluons en tant que journalistes, chroniqueurs, animateurs, gestionnaires de communauté et lecteurs intéressés pris dans cette énorme toile.

Je commence à percevoir les réseaux sociaux comme la bourse des idées. Plus que l’argent (bien qu’il y ait de l’argent qui circule, évidemment), dans notre milieu, ce sont les idées qui servent de monnaie d’échange. Une idée est exprimée, sous forme de vidéo, article, podcast, statut, tweet. Si elle n’est pas récupérée dans les trois premières heures de sa sortie par cinq influenceurs ou un agrégateur de contenu important, l’idée meurt. Elle ne meurt pas dans le sens qu’elle disparaît, plutôt, elle est enterrée dans un océan d’idées qui, sous la forme d’une publicité du DGE, devient une cacophonie ironiquement ridicule, mais qui pour l’individu, relève d’une expression de soi contribuant à son bien-être personnel. De toute façon, vu de tout près, l’infiniment petit semble menaçant, et de loin, tout semble insignifiant.

Les influenceurs sont les actionnaires avec de nombreuses idées ayant bien performé dans le passé, faisant désormais partie de leur portfolio actif. La crédibilité qu’ils attribueront à une idée lui accordera de la valeur. Tel chroniqueur influent a liké, voire commenté, voire partagé mon statut, me voilà désormais coté en bourse des idées, avec des investisseurs d’idée sous forme de demande d’amis Facebook et de nouveaux abonnés Twitter ou YouTube. Ceux-ci contribueront à ma réputation d’idéateur. Cela peut se faire par la force du nombre (bien que le milieu des influenceurs média semble un peu allergique à ce genre de popularité) ou par la qualité du supporteur. Il est bien plus important de se faire retweeter par Guy A. Lepage que de parler à 3000 personnes qui n’ont aucune influence médiatique, sinon par des coups ponctuels de trolling massif ou d’indignation collective.

Je crois que nous sommes dans une bulle spéculative des idées. La caractéristique d’une bulle financière (immobilière ou virtuelle) est de croître exponentiellement jusqu’à son explosion inévitable. Cela implique surtout le monde des médias sociaux et traditionnels, collés à une actualité qui doit se renouveler à la seconde, et dont l’absurdité des titres et l’irrationalité des gestes des acteurs créent un certain surplus difficile à digérer. Ça se voit, un peu partout sur notre réseau: Facebook, toi et moi it’s complicated. Ça suffit. Ok, on se calmeAssez de conneries

Jusqu’ici ça se manifeste surtout par des annonces sporadiques d’absences ponctuelles. Ok, je quitte les réseaux pendant une semaine. Cure de désintox avant de rejoindre le party. Drôle d’habitude.

South Park, en commentateur extraordinairement juste de notre époque, a récemment diffusé un épisode dans lequel Eric Cartman, soudainement obsédé par les réseaux sociaux, s’exprimant ad nauseam partout à l’école, se perçoit menacé par la NSA comme un groupe qui viole son intimité (intimité qu’il exprime sans cesse sur ses multiples plateformes). Il tente de la saboter, malgré qu’elle soit complètement désintéressée par les blogs du «fat and unimportant boy», ce qu’il a de la misère à accepter. Ce qui est difficile à accepter, évidemment, c’est que Cartman, dans cet épisode, c’est moi. En ce moment, nous surfons sur le bruit. Mais les initiatives personnelles pour se réfugier dans le silence se transformeront-elles éventuellement en décision collective?

Jusqu’à quand la bulle dans laquelle nous nous exprimons peut-elle continuer de grossir? Jusqu’à quand peut-on inonder le marché des idées? 

inb4 "Tu contribues à la surenchère avec cet article". J’ai constaté l’ironie avant de l’écrire, c’est correct. Merci.