Les trolls
Des clics et des claques

Les trolls

Les trolls veulent votre mal. Du moins, ils se fichent de votre bien.

Quand vous sortez votre téléphone intelligent pour télécharger immédiatement l’application Tinder une fois que votre ami vous en parle dans un bar, et que vous commencez à faire défiler les potentielles conquêtes en faisant glisser votre doigt sur l’écran tactile, un troll vous guette.

Quand votre mère s’amuse à discuter sur son iPad avec son petit-fils dans une autre ville, et que la distance est soudainement annihilée, un troll veille à ce que cette expérience soit gâchée.

Il ne s’agit pas ici du troll traditionnel que l’on retrouve sur les médias sociaux, cet être ambigu qui stimule la polémique et la controverse dans le seul but d’enrager ses détracteurs, sans réel attachement au propos qu’il avance lui-même. Il ne s’agit pas, bien sûr, des trolls qu’on retrouve dans les films Seigneur des anneaux, bien qu’ils fassent peur et qu’ils seraient probablement amers en voyant votre capacité de séduction sur Tinder.

Plutôt, il s’agit de «patent trolls», des trolls de brevets, qui doivent récolter la palme d’or en termes d’énergie dépensée de manière contreproductive. Ce sont de petites compagnies (parfois de cinq à six employés avec autant d’avocats) qui se consacrent exclusivement à l’achat de brevets qu’ils n’ont nullement l’intention de développer. Ce sont généralement des brevets génériques (contrairement au brevet de tatouage de cou d’espionnage récemment acheté par Google): on parle d’une technologie permettant de glisser son doigt sur l’écran, ou d’avoir des carrés aux coins ronds sur votre téléphone intelligent.

C’est justement cet aspect générique qui joue en leur faveur. Ces petites compagnies sont généralement la propriété d’énormes multinationales comme Apple, Microsoft, Google, etc. Elles servent principalement à traîner en cour des compétiteurs qui appliquent de façon plus ou moins éloignée les idées retrouvées dans les brevets en question. Parfois, c’est un peu ridicule, comme c’était le cas avec les icônes de paniers d’épicerie ou bien les attaques d’IBM envers Twitter. Parfois, c’est plus sensible, comme ce procès qui a eu lieu opposant Apple à Samsung et donnant raison à Apple, grâce à la décision d’un jury plus ou moins informé ayant pris une décision en deux jours après trois semaines de délibérations juridiques. Dans tous les cas, ce sont surtout les avocats qui gagnent.

En 2011, un consortium de compagnies importantes telles que Microsoft, Apple, RIM, Ericsson et Sony ont acheté un portfolio d’environ 6000 brevets appartenant à la compagnie défunte Norton. Pour la somme de 4,6 milliards $. Google avait offert 4 millards $ pour les brevets, une somme insuffisante pour ce portfolio. Le collectif, désormais nommé Rockstar, est donc parti en guerre légale contre Google, principalement pour tenter de prouver que la compagnie de Silicon Valley fait du vol de propriété intellectuelle avec ses techniques d’annonces et de publicités (ce qui est le premier garant de revenus chez Google). Bref, l’ennemi étant trop gros à abattre seul, les adversaires du géant se sont rassemblés sous l’étiquette Rockstar dans le but de le faire tomber.

Pourquoi mentionner Tinder ou Facetime? Parce que la guerre qui se livre se fait pour des applications qui nous semblent parfaitement banales. Des millions de dollars sont dépensés en cour pour vous empêcher de glisser votre doigt sur l’écran, ou de cliquer sur un icône qui ressemble à un téléphone. Comme les détaillants se déchirent la chemise dans des négociations avec Wal-Mart pour vendre leurs produits à un sous de plus ou de moins, les géants du mobile et du web se battent pour pouvoir exploiter vos gestes les plus anodins. Parce que c’est la simplicité et la facilité qui permet à une application ou à un site de se répandre comme un feu de forêt.

Google n’est évidemment pas la pauvre victime sur laquelle il faudrait s’apitoyer. Plutôt, il existe un problème systémique où les géants tentent de ralentir leurs adversaires plutôt que d’innover. Dans ce combat épique, il y a le consommateur qui n’a pas accès à des petites révolutions technologiques qui lui faciliteraient la vie, et il y a les trolls de brevets, les vrais gagnants.

Parce que ce n’est pas vrai qu’on n’arrête pas le progrès. On l’arrête. Tous les jours. Et c’est rentable.