L’affaire Jean Tremblay 12
Le maire Jean Tremblay a porté plainte à la police pour usurpation d’identité? Sérieusement, bro?
Le maire de Saguenay Jean Tremblay a porté plainte à la police pour usurpation identité. Désormais célèbre pour ses commentaires plus ou moins tolérants et ses prières au conseil municipal, Jean Tremblay se trouve présentement sur Facebook sous le nom de Jean Tremblay 12. Sur ce compte, le maire de Saguenay publie régulièrement des messages à caractère religieux, affirmant, par exemple, que « les athées sont des naïfs ».
C’est une recette parfaite pour la parodie. Le pseudonyme à lui seul rappelle une époque plutôt révolue d’avatars numériques sur mIRC et MSN comme hotsexymama69. En ce sens, pour un internaute habitué aux memes et aux blagues virtuelles, le seul compte Jean Tremblay 12 est un mélange entre les gens écrivant « Complet » ou « Indigné » dans leurs noms sur Facebook et ces tantes bienveillantes qui invitent leur nièce à aller prendre un café en commentaire sur une photo de profil publiée en 2010, sous laquelle elles signeront leurs noms. En gros, cela symbolise une incompréhension claire et affichée des tendances web et des codes spécifiques du réseau.
Le concept du compte parodique n’est pas nouveau. D’ailleurs, à la suite des événements récents, nous avons droit à Denise Pro-Charte Filiatrault (connue pour ses sacres), Morgan Madiba Freeman (en référence à l’amalgame humoristique entre Nelson Mandela et Morgan Freeman) et Ex-Mairesse de l’Assomption, un compte qui reproduit des analogies douteuses au rapport à la douleur, en référence à la fameuse citation concernant les élections à l’Assomption.
Cependant, est-ce raisonnable de prétendre qu’il s’agit d’usurpation d’identité? La plupart des abonnés des comptes Jean Tremblay 11 et 13 font évidemment partie d’une clique d’initiés aimant se moquer du discours à caractère religieux du maire dans le contexte tendu de la Charte de la laïcité. Faudrait-il expliquer au maire qu’il ne s’agit pas d’usurpation d’identité, mais de parodie, de moquerie? Est-il trop orgueilleux pour l’admettre? Puisqu’il a porté plainte à la police, pense-t-il réellement qu’il s’agit d’usurpation d’identité? Ou veut-il taire des détracteurs via un moyen légal détourné?
Selon Éloïse Gratton, spécialiste dans les domaines du droit des TI et des questions touchant à la protection de la vie privée, dans un cas d’usurpation d’identité, il faut que l’individu « démontre que sa réputation a été affectée ou qu’il y a eu atteinte à sa vie privée. Il faut prouver qu’il y a eu des dommages ». Dans ces cas-ci, on peut donner des limites à la liberté d’expression.
Éloïse Gratton cite l’exemple de Guy Laliberté en jurisprudence. Celui-ci était devenu le sujet d’une biographie non-autorisée par Ian Halperin au sein de la maison d’édition Transit. L’auteur avait créé un compte MySpace avec des milliers de contacts dans lequel il prétendait être le réel Guy Laliberté, et ce, pour créer de l’attention autour de son livre et éventuellement mousser les ventes de celui-ci. Dans ce cas-ci, il s’agissait réellement d’usurpation d’identité, « il y avait des dommages », puisqu’il y avait l’intention de s’enrichir.
S’il ne s’agit pas d’atteinte à sa vie privée (les comptes sont principalement des parodies se moquant du caractère religieux du personnage), il faudra prouver que cela porte atteinte à sa réputation, ce qui n’est pas gagné considérant qu’il s’agit d’une personnalité publique. Bref, la police pourra-t-elle faire fermer ces faux comptes? Si c’est clair que c’est une blague, la côte sera difficile à remonter pour prouver qu’il y a usurpation d’identité.
Chose certaine, nous avons affaire à un cas classique d’effet Streisand, dans lequel la tentative de faire taire une affaire créée ironiquement un engouement pour ladite affaire. Si le maire avait un conseiller virtuel, celui-ci lui rappellerait un des dix commandements du web : ne nourris pas les trolls.
Pourquoi chercher à régler une situation perçue comme étant «irritante» en se précipitant à bras raccourcis sur les gros moyens?
Des moyens musclés. Dans la veine «Louis Cyr», oserais-je même ajouter…
Mais, malgré tout, des moyens aux résultats très incertains. Et ça alors même qu’une petite virée de fin de semaine du côté de la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré permettrait de venir à bout du problème sans se fouler ou se casser le moindrement la tête ou y consacrer trop de ressources mises en réserve pour la retraite.
Que le temps d’allumer un lampion ou deux et d’y aller de quelques mots se terminant pas «amen».
Car il faut être minimalement conséquent relativement à ses convictions dans la vie. Et vraiment croire à ce que l’on clame croire. Un doute se serait-il infiltré à l’intérieur, subrepticement, quoique la façade présente toujours la même superbe?
Ce serait alors là un cas – bien inattendu! – illustrant que les apparences peuvent souvent être trompeuses…