Ma très réelle dépendance aux "likes"
Des clics et des claques

Ma très réelle dépendance aux "likes"

Il est devenu terriblement évident que je suis maintenant dépendant aux "likes". La première étape, semble-t-il, est d’avouer qu’on a un problème. 

Pas juste à Facebook, pas particulièrement aux « partages », ni même au « retweet » si prisé sur le réseau de gazouillis. J’ai une dépendance réelle, avec un impact réel, aux likes.

Je suis toujours moins intéressé par la démonstration clinique d’une dépendance que par l’illustration romanesque: je préfère lire Burroughs et son héroïnomanie, Bukovski (sic) et son alcoolisme, ou écouter Snoop Dogg et son rapport au weed. Dans tous ces cas-là, il y a une notion de dépendance assumée, et ce que je vais présenter ici, c’est ma dépendance, assumée, aux likes.

L’origine

À l’origine de cette dépendance, il y a deux idées. Je me considère comme un wannabe écrivain. Depuis que je suis tout petit, ma conception de la journée la plus heureuse de ma vie consiste en l’appel positif d’une maison d’édition acceptant mon manuscrit (encore non-écrit, évidemment). J’ai un amour sincère et réel pour le mot juste, je crois que je suis en train de trouver ma voix et ça m’émerveille carrément, et Facebook est le lieu idéal pour l’expression de mes pensées, à mon avis pour deux raisons.

1. Si j’écris mes aphorismes (car il s’agit souvent de statuts reflétant des pensées concises) sur un blogue, je créé une barrière à l’entrée. Inviter quelqu’un sur son blogue quand on est sur Facebook, c’est comme inviter quelqu’un à continuer une conversation agréable chez soi tandis que vous êtes dans un bar sympa qui n’est pas trop loin de la résidence de votre interlocuteur. Ces pensées, à part si elles sont simplement phénoménales, n’inspireront pas le clic qui mène vers le blogue sur une base régulière.

2. Si je m’essayais avec la publication d’un livre d’aphorismes, moi, un virtuel inconnu du monde de l’édition et des médias traditionnels, ça me prendrait une bonne part d’énergie à écrire ces pensées, convaincre un tiers parti de les publier dans une collection qui finira par vendre un maximum de 300 copies et me rapporter 15$ un an après sa publication rapidement oubliée.

Bref, l’expression appliquée de mes pensées en temps réel sur Facebook permet de les tester sur un réseau de gens que je respecte, puisque j’ai un peu twitterisé mon Facebook: exit les jolies filles aux mille selfies dans le seul but d’un rendez-vous nocturne, exit les inconnus aux statuts chialeux et aux photos de bouffe. C’est une façon pour moi de stopper une instrumentalisation unidirectionnelle de ma part. Je ne veux plus accepter des gens seulement parce qu’ils représentent un like ou un partage potentiel.

Si je t’ai dans mon réseau: je t’aime, ou j’aime ta pensée. Et si j’aime ta pensée, ton opinion à propos de la mienne de pensée m’importera, et je valoriserai ton like. Ton like sera l’approbation tacite que ma pensée était bien formulée et méritait d’être exprimée publiquement, devant un réseau potentiel de milliers d’individus.

Le problème

Le problème, c’est que je vérifie continuellement si ma publication a reçu des likes après avoir publié le statut. Je calcule le score, en temps réel, du succès technique de mon idée. Plus mon réseau grossit, plus ma pensée se précise (à mon avis), et plus je perçois une augmentation continue dans mon nombre de likes. Des fois, dans des bars, j’irai joyeusement aux toilettes, non seulement dans un besoin de soulagement naturel, mais aussi pour vérifier où sont rendus mes likes, un peu trop comme cette illustration bien déprimante qui résume ma situation. Quand je suis avec ma copine, elle va régulièrement exprimer son irritation justifiée quant à ma vérification de likes en pleine conversation ou au milieu d’un épisode de Games of Thrones. J’ai réellement eu des chicanes à cause de mon désir de likes, ou de mes likes compulsifs de jolies selfies d’amies bien belles.

Un autre problème, c’est que si mon statut ne récolte pas un nombre décent de likes, je commence à remettre en question la validité intellectuelle de ma pensée. J’essaie de limiter mes statuts le week-end, à cause d’un réseau plutôt inactif et d’une tentative compréhensible d’avoir, genre, une vie. Mais vendredi dernier, j’ai appris que je donnais une conférence sur les réseaux sociaux au Collège Lasalle ce mardi. Sachant parfaitement la formulation de mon statut anticipé, j’ai décidé d’attendre à lundi avant de publier ce statut, sachant très bien qu’il récolterait peu de likes en fin de semaine et que cela m’attristerait parce que c’est une nouvelle importante pour moi qui fait plaisir à mon égo autant qu’il fait peur à celui-ci.

Je ne supprime pas mes statuts, en général, mais j’y pense bien plus souvent lorsqu’un statut récolte moins de likes que lorsqu’il inspire des contradictions virulentes de gens aux antipodes de ma pensée qui démontrent, clairement et brillamment, que j’ai absolument tort. Je préfère une idée qui frappe un mur plutôt qu’une idée qui flotte dans le vide.

Ce que j’ai fait

En fin 2013, j’ai co-créé un groupe humoristique sur Facebook: Le Like. Le but était de ridiculiser notre dépendance à celui-ci, surtout lors de conflits sur le réseau (lire, LE thread) dans lesquels le nombre de likes sur un commentaire assassin révèle le vainqueur évident d’une joute intellectuelle publique. Ceci dit, je n’alimente plus la page (la blague, évidemment, est morte), et ma dépendance aux likes n’en a pas été amoindrie par ma moquerie de la chose.

J’essaie aussi de laisser mon téléphone de côté plus souvent lorsque je ne suis pas au travail. En effet, quand on travaille sur les réseaux sociaux, l’observation en temps réel des statistiques est une bonne chose (ce qui peut être mesuré pour être amélioré), donc ma dépendance est probablement bénéfique à mon travail, mais clairement pas à ma vie sociale et amoureuse.

De plus en plus, quand je me rends d’une salle à un autre, et que je perçois mon téléphone, l’écran contre la table, ne me permettant pas de voir le clignotement potentiel d’une notification salvatrice, je réalise que je peux être plus fort que ma dépendance. Que je peux passer une demi-heure additionnelle sans vérifier le succès de ma pensée. Que, par ma pensée, je peux avoir du succès dans la modération de ma dépendance. Tout n’est pas perdu.

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INB4 TL;DR GTFO.