Ce que ce selfie veut dire
Des clics et des claques

Ce que ce selfie veut dire

Finalement, le grand gagnant des Oscars, c’est Samsung.

Le monde entier l’a vu. Le selfie d’Ellen DeGeneres pendant les Oscars, où elle est accompagnée d’une panoplie de légendes du cinéma américain (et du frère de Lupita Nyong’o dont le visage d’inconnu cache celui d’Angelina Jolie), a atteint le record du nombre de retweets au monde, battant par le fait même l’ancien champion du retweet, le câlin touchant de Barack et Michelle Obama. Ce selfie est devenu, invétablement, un meme instantané.

Dans la foulée, nous avons probablement oublié deux autres selfies: la photo prise, quelques secondes avant, avec Liza Minelli, désormais reléguée aux oubliettes puisqu’Ellen a enterré n’importe quel enthousiasme potentiel pour ce cliché avec la présence de Meryl Streep, Brad Pitt, Julia Roberts, Kevin Spacey et Bradley Cooper, entre autres, dans la photo suivante.

L’autre selfie, c’est celui avec Barack Obama, Bill Nye et Neil deGrasse Tyson. Si le premier vous est excessivement familier, rappelons-nous que Bill Nye est un ancien animateur de télévision habitué à la vulgarisation scientifique, parti en croisade efficace contre les représentants d’un conservatisme religieux encore bien puissant aux États-Unis. Neil deGrasse Tyson, pour sa part, est un scientifique aux capacités de vulgarisation incroyables, à l’enthousiasme galactique inégalé, et il est, surtout, un meme.

 

Si je mentionne ce selfie présidentiel, c’est surtout par préférence personnelle: bien que je ne sois pas un féru de science, je préfère le message d’une administration américaine valorisant la vulgarisation scientifique plutôt que la célébrité se regardant elle-même et implorant les millions d’utilisateurs Twitter à partager leur inaccessible moment de gloire.

Mais qu’est-ce que ça veut dire, tout ça? Que, contrairement aux prédictions initiales d’un meurtre des médias traditionnels et des grosses institutions à cause du web, il s’agit plutôt d’une coexistence presque harmonieuse entre les différents médias. Plutôt que la mort annoncée de multiples industries, il y a l’adaptation. De la même manière que la télévision n’a pas tué le cinéma, qui à son tour n’a pas tué le théâtre, le web n’a pas tué la télévision.

Il s’agissait évidemment d’un placement publicitaire. Ce téléphone géant dans la main d’Ellen, dont la qualité de photo n’a presque rien à envier des caméras qui l’entouraient, n’était pas le sien. Apparemment, en arrière-scène, elle utilisait un iPhone pour prendre des photos. Le partenariat entre Samsung et les Oscars est probablement un des meilleurs coups de publicité de compagnie de téléphone, qui n’en est pas à son premier méga succès qui allie vedettes issues des médias traditionnels et utilisation intelligente du web.

En effet, Jay Z a fait partie d’une importante campagne promotionnelle pour le géant Samsung, et a même sorti son album en téléchargement gratuit pour les abonnés du service avant le public général, atteignant par le fait même des millions de clients avant que l’album ne sorte où que ce soit en magasin. Certes, il faut des reins solides pour atteindre un million de retweets et des ventes d’album aussi impressionnantes, mais Samsung semble avoir saisi le rythme auquel il faut danser: la présence naturelle du web qui vient en aide aux géants d’une industrie encore bien puissante.

Qu’est-ce que ce selfie veut dire, à propos de nous? Principalement, que nous sommes tous des diffuseurs, mais nous sommes encore inconscients de cette capacité que nous avons. Dans les derniers mois, le web était dirigé principalement par les impératifs ponctuels des grands réseaux traditionnels: entre les Grammys, les Olympiques et les Oscars, les réseaux sociaux et les agrégateurs de contenus n’étaient que des canaux de transmission additionnels pour les traditionnels maîtres du monde médiatique. Si vous êtes un adepte de Twitter, mais que vous êtes allergique aux Oscars, le réseau de l’oiseau vous était un peu hors limites, hier soir.

Une petite note personnelle à propos de ces milliards de diffuseurs amateurs que nous sommes. Chaque fois que je diffuse une vidéo, ou publie un article, je suis impressionné par ce simple fait: je suis techniquement à la merci de la diffusion active du public. Si la télévision a sa part d’aléatoire, elle est assez consciente d’elle-même pour connaître la taille de son public à l’avance: on diffuse une émission à telle heure, tel jour, pour maximiser un investissement ou diminuer un risque. Le seul acte de l’utilisateur, c’est d’allumer la télévision. Sur le web, c’est bien différent: il faut que le contenu stimule assez d’intérêt pour que l’utilisateur décide de le mettre sur son mur Facebook ou sur son fil Twitter.

Et apparemment, ce qui stimule le plus ce petit diffuseur, c’est ce que le grand diffuseur lui impose.