Pauline et Janette
Des clics et des claques

Pauline et Janette

La fête de Pauline et la douane idéologique.

Dans un tweet particulièrement inapproprié, Jean-François Lisée, ministre des Relations internationales, de la Francophonie, du Commerce extérieur, de la Métropole et chargé des Relations avec les Anglo-Québécois, nous implorait d’offrir un gouvernement majoritaire à Pauline Marois en guise de cadeau d’anniversaire. À Pauline, comme il dit.

La logique derrière ce souhait d’anniversaire est particulièrement désaxée: le pouvoir serait quelque chose qu’on lui offre comme un cadeau, puisqu’on l’aime bien et que ça lui ferait plaisir. Ce tweet, venant de n’importe quel imbécile, ne me ferait pas sourciller. Il s’agit de la personnalisation excessive qu’on fait de nos politiciens, une sorte de propagande populiste fonctionnelle qui nous donne l’impression qu’ils sont proches de nous, comme nous. Nos amis. Ils ne le sont pas.

Pauline Marois est la première ministre du Québec. Elle a un pedigree impressionnant qui la place à des lunes du quidam qui ne la connaît pas personnellement. Elle n’est pas notre amie, notre chum, notre copine. C’est la chef d’un parti politique au pouvoir actuellement qui organise son maintien au pouvoir. On ne lui donne pas un gouvernement majoritaire, on donne à son parti et à elle le pouvoir de modifier légalement et administrativement le paysage politique québécois. Qu’on soit d’accord ou non avec la nature de ses intentions politiques, il faut au moins le traiter avec la gravité et l’importance que cela décèle réellement, et non avec la fausse informalité d’un cadeau qu’on offre accompagné de quelques bougies sur lesquelles Pauline Marois soufflerait tandis que la nation lui chante «C’est à ton tour» en faussant.

Hey bonne fête Pauliiiiine! Kin, le monopole sur la violence!

Le PLQ, QS

Pendant ce temps, les libéraux se présentent comme des corrompus sympathiques qui tenteront de ne pas nous faire perdre trop d’emplois tout en ne créant pas quelconque projet de société. Faire rien, mais ensemble.

Et, aussi, est-ce que Québéc Solidaire nous prend pour des cons? Lors du premier débat, on s’adresse à Françoise David comme si elle pouvait potentiellement prendre le pouvoir, ce qui est absolument impossible lors de ces élections. Ce sera un gouvernement majoritaire ou minoritaire du PQ ou du PLQ. C’est une faible certitude, certes, mais ça exclut systématiquement le potentiel d’un QS au pouvoir. Alors pourquoi me parle-t-elle comme si elle allait présenter des projets de société et gouverner le Québec? Ce ne sera pas son rôle. Qu’elle me parle de son rôle en tant que membre important de l’opposition: ce pour et contre quoi elle compte voter, comment elle compte faire des embûches au pouvoir, etc. Mais le prendre, ce pouvoir? Faut me prendre pour un con.

Janette

La présence de Janette Bertrand comme locutrice crédible sur la scène politique québécoise actuelle relève de la pure absurdité. Et ce qui est intéressant, c’est la douane idéologique qu’on doit payer si on veut commenter l’affaire.

Une douane idéologique, c’est une préambule à notre discours général qui fait en sorte qu’on nous permet de discourir avec les grands, d’être considérés comme des interlocuteurs crédibles. Dans l’affaire Gab Roy vs. Mariloup Wolfe, il faut absolument dire que la lettre était indéfendable: cet aveu, qui est une concession idéologique au tribunal médiatique en cours, nous donnera la permission de parler à la radio ou à la télé à propos de ce sujet.

Pour Janette Bertrand, il s’agit surtout de la reconnaissance de son importance dans l’histoire culturelle du Québec, ainsi que la reconnaissance de la force d’une femme qui a surmonté moult obstacles d’époques particulièrement sexistes de notre histoire. Une fois qu’on a exprimé cette marque de respect, on peut commenter sa présence sur la place publique. Or, ce respect affiché pour l’héritage culturel qu’elle nous lègue nous empêche de faire cette affirmation:

Janette Bertrand est une vieille dame raciste qui voit ses peurs irrationnelles rassurées par le projet actuel de la Charte de la laïcité. C’est tout.

Ce n’est pas dire que la Charte de la laïcité soit un projet raciste. Mais ce qu’elle voit dans ce projet rassure son racisme évident.

Or, si on se permet le préambule respectueux et qu’on le suit avec ce constat, on aura fait l’effet d’un cheval de Troie médiatique, et bien qu’un cheval de Troie soit une excellente idée, c’est un effet stylistique difficile à répéter.

Ce qui est intéressant, aussi, avec une douane idéologique, c’est qu’on en est tous inconscients. On est tellement impliqués à se fondre dans un certain discours qu’on finit par en oublier les failles et les frontières. On va souvent même exclure des intervenants potentiellement pertinents du discours public s’ils ne savent pas se soumettre aux codes spécifiques du langage médiatique et s’ils n’ont pas une connaissance approfondie de ce qu’on appelle, en comic books, la continuité.

Si vous ne savez pas vous positionner correctement sur certains mots comme indépendance, péréquation, identité, nationalisme, multiculturalisme, région, Ottawa, si vous n’en connaissez pas la charge émotive spécifique et l’endroit spécifique ou les utiliser dans une phrase, si vous ne savez pas attribuer le respect nécessaire à tel mot et l’aversion systématique à tel autre, vous serez perçus comme une source impertinente de discours: un clown qui n’a pas sa place dans le royaume. Il vous faudra soit avouer votre ignorance de ces termes, soit abdiquer votre place dans le spectacle du discours des élites.