Mourir tout sourire
Les médias québécois traversent ce qui sera probablement considéré comme leur plus grave crise existentielle.
Vous ne le verrez pas, dans les sourires parfaits et les rires forcés des animateurs vedettes de quiz et d’entrevues ludiques, mais les médias traversent un long hiver à la Game of Thrones: aucun survivant n’est vraiment garanti. Parfois, c’est de la pure logique commerciale, comme les journaux imprimés qui disparaîtront pour plusieurs publications de Gesca, tel qu’annoncé par les frères Desmarais. Ou bien les résultats financiers très inquiétants du Devoir.
Parfois, c’est idéologique. Le gouvernement de Stephen Harper n’est pas un grand amateur de rigueur scientifique, de transparence journalistique ou de diversité culturelle, et les coupures massives qui ont récemment affligé la Grande Tour de Radio-Canada ont précédé une deuxième ronde de coupures tout aussi douloureuses. Ici, on handicape sévèrement un service public qui, je le crois, va devenir encore plus essentiel qu’il ne l’a jamais été.
La crise médiatique se fait en petits chiffres. En petits chiffres hyper-précis de pages vues, de clics de la souris, de visiteurs uniques et d’informations évaluées en temps réel sur les habitudes de consommation des lecteurs et des auditeurs des médias québécois.
On sait désormais exactement combien de fois chaque article d’un journal donné est lu. On sait, par exemple, que l’enquête connaît moins de succès que le blogue. On sait, aussi, que l’enquête prend plus de temps que l’esprit coup-de-gueule du blogue.
Le web québécois existe depuis assez longtemps pour en connaître les limites.
Sans entrer dans les détails, les annonceurs et les régies publicitaires paient des maigres sommes pour 1000 ou 5000 affichages sur une page web. On ne devient pas riche en ayant 10 000 pages vues de son texte ou 10 000 visionnements de sa vidéo. Sur un billet de blogue coup-de-gueule ou une vidéo de chat, c’est un bon petit retour sur un petit investissement. Sur des enquêtes et des articles plus sérieux qui nous informent sobrement sur le monde dans lequel on vit, il s’agit d’un énorme temps investi pour un très faible retour.
On pourrait imaginer un changement total de modèle où la concentration principale des médias qui se veulent encore informatifs se transformeraient en fusion improbable entre Le Huffington Post Québec et La Presse +. C’est-à-dire une quantité phénoménale de «click-baiting» du genre les belles robes au gala, les vidéos virales de la journée, les ruptures de vedettes, qui récoltent à coup sûr des centaines de milliers de clics d’un côté, et de l’autre, une information de qualité, qu’on saurait déjà non rentable, mais amortie par la présence énorme et gigantesque d’agrégation de contenu plus «léger».
On pourrait imaginer des modèles alternatifs et rebelles à la Vice ici, au Québec, mais ça restera probablement au stade de l’imagination, la plupart de nos nageurs expérimentés ne désirant aucunement être les premiers à sauter dans une nouvelle piscine.
Le problème, c’est qu’il est très difficile d’échapper à une logique marchande une fois qu’on y entre. Comment garder le journaliste sérieux qui fait de l’enquête mais dont le travail n’apporte à peu près aucun revenu à un média qui travaille d’arrache-pied pour survivre, et, éventuellement, exceller?
C’est à ce stade-ci que la situation de Radio-Canada est particulièrement déplorable. Cette société d’État semble à peu près inconsciente de son énorme force. Elle a au sein d’elle, et à ses portes, une génération «branchée», née dans la technologie, les réseaux sociaux et l’accès à l’information de qualité jamais auparavant égalée dans l’histoire de l’humanité. Or, elle se fait constamment menacer (plus ou moins subtilement) d’obsolescence et de fermeture par un gouvernement qui n’a aucun intérêt à ce que ses citoyens soient informés.
Radio-Canada va très probablement survivre au gouvernement Harper. Reste à savoir si elle va survivre à elle-même. L’annonce d’un nouveau talk-show animé par Ti-Mé Paré a été accueilli plutôt froidement sur le web, sentant un préchauffé de sacs de poubelles plus ou moins appétissant, dans un contexte où les journalistes d’enquête doivent intervenir lors de l’émission phare de la station pour justifier leur seule existence. À mon avis, dans ce cimetière déplorable que devient le monde des médias québécois, les producteurs qui ont signé le contrat de Ti-Mé Paré sont ceux qui ont vu la mort de plus près.
Mais voici sa grande force: Radio-Canada peut échapper à la logique marchande. Elle doit le faire. L’Information n’apportera jamais des statistiques impressionnantes dans le petit marché québécois. À 300 millions de potentiels spectateurs, des initiatives alternatives peuvent vraiment bien survivre aux États-Unis. À 7 millions de citoyens, dont une quantité est anglophone, et dont une quantité considérable est analphabète, c’est à peu près statistiquement impossible.
Il faut donc un réseau qui est prêt à mettre le paquet et sortir des enquêtes rigoureuses en sachant très bien que celles-ci n’atteindront qu’une dizaine de milliers d’yeux en temps ordinaire.
Et ceux qui parleront de gaspillage de l’argent des contribuables pour de l’information peu populaire, il faudra simplement les ignorer. Cette rhétorique idiote ne disparaîtra jamais.
Il faut le faire, ce constat. Alain Gravel ne battra jamais le Grumpy Cat en termes de popularité.
C’est ainsi que sont les choses. Si la tendance se maintient, les conditions apportées par les régies publicitaires, qui migrent vers les réseaux sociaux et autres plateformes pour faire leurs promotion, seront de plus en plus sévères, et il sera plus facile de faire vivre un Buzzfeed qui se nourrit de listes sur Ryan Gosling qu’un New York Times qui nous livre théoriquement de l’information sur une base régulière (sauf quand ils décident de mentir à propos de la guerre en Irak pendant trois ans ou sur la NSA pendant une décennie, mettons).
À ce stade-ci, le marché québécois est trop petit pour soutenir de l’information de qualité sur une base régulière. Ce n’est pas rentable.
D’où l’extrême importance de Radio-Canada.
Mais notre héros semble perdu, pour le moment. Son expérience virtuelle en est même la preuve. Comment convaincre un auditeur cible de Série Noire de regarder les pubs génériques débiles présentées à coups de trois annonces avant et pendant l’émission tandis que le même épisode peut être vu, en un clic de la souris, gratuitement sur YouTube? Il s’agit ici peut-être d’un exemple purement anecdotique. Mais comment parler à une génération quand on ne maîtrise pas son langage? Et ce langage, ce n’est pas une mode passagère. C’est la nouvelle lingua franca.
Pour que les médias québécois ne deviennent pas un cadavre souriant, il faut que notre héros retrouve le chemin vers la lumière virtuelle bientôt.
Et ce héros, ce ne sera pas Ti-Mé. Même si, pour l’occasion, il porte un nouveau costume.
Sauf que de ce que j’ai compris de ces coupures,c’est a cbc que le bat blesse.Les Canadiens n’aiment pas cbc,alors que pour les francos,c’est ce qui unit le pays.La chaine privée pour ne pas la nommée,dessert déja très ordinairement les régions du Québec,alors pour oublions tout de suite les autres provinces.Le journalisme d’enquête se faisait conjointement src-cbc.Sans les gros sous de cbc,radio-canada ne peut faire seule de telle émissions.La qualité du cinéma aussi y est passée.