Un an sur le Web
Après un an à écrire cette chronique au VOIR, j’essaie de dresser un petit portrait des grandes lignes marquantes dans ce monde incroyablement vaste et merveilleux qu’est le Web.
Je voudrais aborder une tendance qui met en scène, en gros, des beaux garçons: le #webo.
Bien qu’on puisse regarder #webo avec un certain mépris, inspiré par la superficialité autosuffisante d’un mouvement qui ne valorise que la beauté physique de ses protagonistes les plus populaires, en réalité, le #webo n’est que le reflet d’une tendance Web plus généralisée, de l’évolution naturelle de notre présence virtuelle.
Certains nostalgiques du Web se sont désolés de l’éventuelle disparition de la fameuse vidéo de Rick Astley, suite aux lois de droits d’auteurs qui vont commencer à s’appliquer ici et là. Bien que symboliquement percutante, cette vidéo représente peut-être la fin d’une époque. Pendant longtemps, la crédibilité sur le Web provenait de la capacité de ses intervenants de trouver des liens intéressants et de les partager. La trouvaille était au centre de la notoriété.
Depuis, ce n’est pas autant la trouvaille que la représentation de soi qui est infiniment valorisée dans ce concours de popularité sans fin apparente que représentent nos réseaux sociaux, principalement Facebook et Twitter. D’une fascination pour la machine et ses capacités illimitées, on s’est tourné vers une célébration constante de soi. L’épée est utilisée pour son reflet et non pas son tranchant. Le lac sert de miroir plutôt que d’abreuvoir.
En ce sens, faire disparaître le lien troll par excellence, c’est mettre fin à une marque d’humour qui a servi pendant des années à faire tomber la tension dans la quête perpétuelle de la bonne réponse sur des fils de discussion.
Déjà du passé
Je trouve ça toujours glaçant, le fait qu’une si grande partie du Web et des technologies modernes soit justement rangée dans le domaine du passé et de l’Histoire. Bien que le rouleau compresseur du temps écrase tout sur son passage, le fait que le Web se soit toujours doté d’un vocabulaire futuriste autoproclamé ne fait qu’accentuer les progrès vertigineux qui se réalisent jour après jour. On constate également la distance de plus en plus effarante entre notre quotidien virtuel et l’étincelle brillante et explosive qui nous a tous donné pendant un moment l’espoir d’un avenir radieux et technologique, un avenir qui, évidemment, ne s’est jamais vraiment présenté.
Plutôt, on assiste à une adaptation médiatique et technologique qui met en scène des géants qui se battent pour notre attention, notre argent, nos clics et évidemment, nos informations personnelles. Mais tandis que les géants de l’informatique semblent bien se débrouiller, dans l’ombre et en public, les médias traînent un peu de la patte, embarquent maladroitement à chaque étape tumultueuse d’une évolution qui ne propose jamais de période de répit ou de calme qui permettrait un certain temps de réflexion.
Sans nécessairement le savoir, de nombreux médias ont adopté des modèles à la BuzzFeed et Huffington Post: il ne s’agit plus de savoir si on couvre quelque chose, puisque tout doit être couvert tout le temps, maximisant l’éventail potentiel de visibilité sur les réseaux sociaux, il s’agit plutôt de savoir comment on le couvre: la liste, le gif, l’animation, la récupération, peu importe; si un internaute le cherche (peu importe la nature du «le») il doit le trouver chez nous.
Rattrappage rapide
L’année passée, j’avais demandé à ma sœur si elle avait regardé la cérémonie des Oscars à la télévision. «Je ne regarde jamais ça», m’a-t-elle dit. «J’attends le lendemain, je vais sur tumblr et j’ai les meilleurs moments de la soirée en gif. C’est tout ce que j’ai besoin de savoir.»
La popularité du gif instantané et du clip YouTube des moments forts est telle que, un an plus tard, les grands réseaux n’attendent pas que des tiers partis recyclent leur contenu via gifs ou vidéos. Plutôt, pendant et après chaque cérémonie importante, les fils d’actualités sont inondés de ces initiatives autrefois citoyennes et désormais commerciales. En une seule année, la tendance a été comprise.
Or, ce que les grands réseaux donnent, ce qu’ils veulent que les spectateurs consomment, a tendance à les aliéner puisque la nature humaine est constamment à la recherche d’authentique, de nouveau, d’exclusif, voire même d’illicite, ou du moins, de moments qui ne sont pas pré-approuvés par des cadres en cravate. Plutôt, ce qui suscite l’intérêt, c’est le compte Instagram d’une célébrité importante, la vidéo Vine réalisée en plein discours, le petit moment exclusif créé par un initié. Ellen qui fait le selfie le plus retweeeté de tous les temps. Le Ice Bucket Challenge qui attrape nos célébrités préférées dans des lieux informels et des moments de vulnérabilité universelle. La caractéristique de ce Web-là, en fait, est qu’il atteint tout le monde. Il est devenu à la portée de tous, sans nécessairement être à leur service.
Dans ma prochaine chronique, je recenserai des portraits intéressants d’acteurs du Web qui ont bouleversé notre monde, et qui tentent de le transformer. Il est, à mon avis, essentiel de connaître leur histoire pour améliorer la nôtre.
Illustration: Sara Petitsfruits.