Mais de quoi aurait l’air un web sans compteur?
Et si on ne connaissait pas l’étendue virale et monstrueuse du succès de Gangnam Style?
La popularité virtuelle de Gangnam Style, de PSY, a littéralement atteint la limite des nombres de visionnements sur YouTube.
Apparemment, les compteurs de Google ne pouvaient pas composer, virtuellement, un chiffre plus haut que 2,147,483,647. La machine ne pouvait pas aller plus loin que ça dans son compteur, malgré ses autres fonctions assez impressionantes. La compagnie ne s’était jamais imaginée atteindre un tel chiffre dans la catégorie des visionnements, et a depuis, évidemment, mis à jour cet équipement (désolé si j’adopte un discours vague, je ne veux pas me tromper dans les détails importants), qui peut désormais compter jusqu’à 9,223,372,036,854,775,808. On nage dans l’opulence.
Comme les phénomènes astrologiques sont parfois des manifestations naturelles de concepts philosophiques, un aspect technique de nos outils modernes nous ramène à des métaphores: obliger une entreprise à s’adapter à ton succès. Briser Internet. De façon bien plus tangible que la tentative virale de Kim Kardashian (que sa soeur a depuis essayé d’imiter). Être – littéralement – trop populaire.
Et c’est là que je me demande: que se passerait-il si notre Internet restait complètement identique demain, mais qu’on n’affichait plus les statistiques les plus remarquables? Ces statistiques qui peuvent construire ou détruire des carrières. Ce nombre de visionnements sur YouTube qui, avant d’atteindre ses limites, te permet de réaliser des films, d’être découvert par un producteur, d’être un meilleur vendeur littéraire?
Et si on ne savait pas combien de gens avaient partagé nos statuts, avaient regardé nos blogues, avaient liké notre selfie sur Instagram? Et si on ignorait le nombre de gens sur Twitter qui avaient trouvé notre pensée intéressante ou notre lien pertinent?
Si on était capable de partager avec la même ardeur, de découvrir avec la même vitesse, de communiquer avec la même facilité, de produire avec les mêmes coûts réduits, mais qu’on en ignorait la portée, et qu’on ne pouvait donc ni en souhaiter une plus grande, ni en critiquer une portée non méritée?
Combien de gens se tairaient du jour au lendemain, combien d’entreprises fermeraient, combien d’émissions seraient interrompues, maintenues? Combien de nouveaux blogues? Combien, combien, combien?
Me voilà en train de poser des questions quantitatives tandis que je me place dans un monde où le compteur, soudainement, s’arrête. Parce qu’à un moment donné, c’est trop.
Mais en même temps, quand est-ce trop? Quand est-ce que trop d’yeux se seront posés sur la Mona Lisa? Suffisamment de pieds auront-ils foulé la terre rocheuse du Grand Canyon? Se peut-il qu’il y ait trop d’oreilles qui entendent le Requiem de Mozart? Trop de mains qui touchent au Colisée?
Y a-t-il un mal inhérent à la croissance naturelle d’un phénomène viral? Ou est-ce notre capacité de la mesurer, jumelée à nos désirs d’atteindre à tout prix ces limites, qui cause problème? Qui nous empêche de croire en "assez".
Jusqu’à tout récemment, on pouvait se dire que 2,147,483,647, c’était peut-être assez. Mais non, la prochaine étape, c’est 9,223,372,036,854,775,808? Et après?
J’ai le vertige.
Question intéressante.
Qui ferait des vidéos ridicules parce que le ridicule attire des cliques ?
A quoi servirait-il de faire du « n.importe quoi » pour attirer l’attention si in ne sait pas si on attire l’attention ?
Peut-être que certaines carrières n’auraient pas décoller, mais quelque chose me dit que l’Internet (Youtube et consorts en particulier) serait beaucoup, beaucoup moins envahi par des insignifiances et qu’on verrait mieux les perles qui y sont.
Et Facebook aurait beaucoup moins de données à vendre, donc les proprio seraient juste très riches au lieu de l’être de manière indécente. Et les Big Brother aurait moins d’infos pour se nourrir.