Desjardins

Le sexe des étoiles

La nouvelle a passé le jet set de Québec au lance-flammes. Dans une ville aussi puritaine, ronflante capitale du fonctionnariat, l'arrestation d'une poignée d'hommes d'affaires bien en vue pour avoir sollicité les services d'un réseau de prostitution juvénile a provoqué une incroyable déflagration médiatique. Les tressaillements sismiques se sont fait ressentir jusque dans les studios de TVA à Mourial, où une Jocelyne Cazin pétrifiée annonçait au lendemain de l'événement que "dans la petite ville tranquille de Québec, on est sous le choc". Notez qu'il est quand même rassurant que, dans l'adversité, notre ville ne perde rien de son cachet folklorique.

Le royaume de la ceinture fléchée serait donc devenu un paradis interlope, un lupanar à ciel ouvert, le Walhalla d'actes innommables à bord de voitures de luxe. Parce que quand on est riche et qu'on a du pouvoir, quoi de mieux pour se détendre entre deux meetings qu'une mineure apeurée à qui on offre une joyeuse balade à bord de sa Mercedes intérieur cuir?

Le plus étrange, c'est qu'il s'en trouve pour être surpris. C'est peut-être qu'ils n'ont jamais croisé quelque spécimen de cette espèce heureusement rare de parvenus glorifiés, connards de la pire espèce qui, en flashant leur fric, prétendent à un statut s'approchant de la papauté. Ceux de cette race qui traite le personnel de restaurants et de bars comme des sous-verres, les mêmes qui marchaient, jusqu'à la semaine dernière, la tête haute, se croyant au-dessus des lois et de tout soupçon.

Dans la tourmente, c'est sans doute l'animateur Robert Gillet qui aura le plus écopé. Lynché sur la place publique, l'imprudent communicateur regrette sans doute aujourd'hui ses nombreuses sorties hors d'ondes – mais devant public – concernant sa sexualité pour le moins débridée. Car même s'il se voit, lors de son procès, lavé de tout soupçon, son image et son nom seront salis à jamais. J'entends déjà les blagues monstrueuses dont il sera l'objet, aussitôt l'horreur du drame minimisée par l'inexorable travail du temps.

Une triste conséquence – en cas de verdict positif – qui aura amené plusieurs de mes collègues devenus momentanément vertueux à se questionner sur les règles d'éthique de la plupart des médias qui n'ont pas hésité à dévoiler le nom de l'animateur, faisant fi de la présomption d'innocence dans un cas où, de surcroît, aucune accusation n'avait jusqu'alors été émise.

Les médias sont-ils trop vites sur la gâchette?

Je ne crois pas. Vous n'êtes pas de mon avis? Alors, expliquez-moi pourquoi Robert Gillet devrait subir un traitement différent des autres citoyens soupçonnés d'actes crapuleux. Ne les attend-on pas, eux aussi, caméra à l'épaule et micro à la main, à leur arrivée au palais de justice ou au poste de police? La présomption d'innocence a-t-elle plus de validité pour une vedette que pour un Beauceron consanguin soupçonné de délit de fuite grave?

Gillet est un excellent communicateur, un gars éminemment sympathique avec lequel j'ai eu le loisir de travailler, boire un verre et discuter à de nombreuses reprises. Un homme respecté dans sa profession et dans l'oeil du public. Devrait-il pour autant jouir d'un statut particulier?

Si son ennemi juré, le bourru moustachu André Arthur, faisait face à de telles accusations, quelqu'un se serait-il préoccupé de questions d'éthique? Et pour reprendre un exemple patent que me rappelait un ami: s'étant gargarisée une soirée durant à la vodka servie par l'Hôtel de glace, Michèle Richard avait refusé de passer le test d'ivressomètre lorsqu' on l'avait arraisonnée sur la route de Duchesnay. Quelqu'un a-t-il crié au manquement à l'éthique parce qu'on avait placardé le visage de la chanteuse sur la première page des journaux? Nein!

Alors pendant que des gamines traumatisées à vie témoignent en secret des horreurs qui les hanteront trop longtemps, nous nous interrogeons, entre deux morceaux de tourtière et un verre de gros rouge, sur l'avenir de Robert et de ses amis.

Et si le jugement de plusieurs se révèle impitoyable, d'autres les prennent en pitié. Ce qui donne du poids à une affirmation entendue dans un party des Fêtes. Une idée qui m'apparaissait d'abord comme farfelue, mais qui, à bien y penser, prend énormément de sens dans notre société à la morale élastique: peu importe s'il est trouvé coupable ou non, Robert Gillet est devenu une icône médiatique, et son public, dans un élan maternel, pourrait très bien, malgré le lugubre des crimes qui lui sont reprochés, lui pardonner comme on pardonne à l'enfant prodigue. Le malheur, c'est que plus j'y réfléchis, plus j'y crois.

À tous ceux qui pataugent dans les problèmes d'éthique et de morale, je vous laisse sur celui-là, beaucoup plus vaste et d'autant plus inquiétant.