Desjardins

L’école des nuls

"J'ai pas étudié avant l'examen, si j'aurais su…"

– Daniel, étudiant en sciences de l'éducation à l'Université Laval

Si vous êtes comme moi, vous êtes sans doute tombé en bas de votre divan en regardant les nouvelles lundi soir dernier.

À en croire les pitoyables résultats d'un examen de français que l'Université Laval voulait rendre obligatoire, le quart des futurs professeurs du secondaire arrive à peine à articuler un français convenable. Ce pauvre Daniel, à qui personne n'a encore appris que les "si" mangent les "rais", a d'ailleurs lamentablement échoué le test, obtenant le score de 50 %.

"C'est trop difficile, j'écris sans faire de fautes habituellement, mais là, c'est des exceptions de la langue", affirmait sans même ciller un autre joyeux naufragé de l'examen.

Alors tout de suite, on s'imagine un truc terrible, du genre test d'admission des journalistes à Radio-Canada. On pense à des questions d'une infâme difficulté, à des embrouilles comme l'imparfait du subjonctif du verbe émouvoir à la deuxième personne du pluriel, aux définitions de halieutique, de strapontin et de hagiographie ou au pluriel de garde-pêche… Mais non.

Vous n'avez pas vu les deux exemples de questions qu'on donnait dans un des reportages?

"Quelle est la définition du mot ineptie?"

"Qu'est-ce qu'une nomenclature?"

Et pour semer le doute, on propose trois choix de réponse en plus, alors imaginez, ça devient mêlant tout ça, vous trouvez pas? Ce n'est donc pas d'étude intensive que Daniel, notre arrogant p'tit gros à casquette, aurait dû se prévaloir, mais d'un peu de culture. Et ça, même s'il l'aurait su…

Au fait, vous pariez combien que ces futurs profs n'ouvrent pas trois livres par année sans qu'on les y oblige?

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Je n'ai rien d'un ayatollah de la langue et je demeure convaincu qu'un langage qui stagne est appelé à mourir. Mais pour avancer, faut d'abord apprendre à marcher.

Alors en entendant une troisième étudiante affirmer: "Ben, on va juste enseigner au secondaire, on pensait pas avoir besoin d'en savoir autant", j'ai difficilement réprimé l'envie de crier, de courir à l'Adversité Laval leur botter le cul à tous et à toutes.

Parce qu'il ne peut pas y avoir pire absurdité que ce désolant spectacle d'ignares qui enseignent à des ignares pour former plus ignares encore.

Ou si vous préférez, n'est-il pas révoltant que ceux à qui on n'a rien appris se plaignent maintenant des exigences d'admission à un programme qui leur permettra de perpétuer leur ignorance en devenant eux-mêmes des profs?

Le monde à l'envers où ceux qui donnent la leçon pourront bientôt en apprendre de leurs élèves les plus doués. Ceux qui auront la curiosité intellectuelle dont leurs propres professeurs ne pourront jamais être la source, puisque ces derniers en seront tout simplement dénués.

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On comprend donc le désespoir du doyen Claude Simard, qui arrivait à peine à camoufler son désarroi devant les caméras de télé. Il avait l'air honteux. Et on le serait à moins.

D'autant plus que ces futurs profs ne seront pas remerciés, mais devront suivre un cours palliatif, puisque leur retrait des rangs aurait coûté à l'établissement "d'enseignement supérieur" la coquette somme d'un demi-million de beaux dollars en subventions.

Ce qui me fait croire que ce que nous préparons comme avenir n'a rien de très réjouissant: des spécialistes sans âme, des consommateurs sans jugement, des citoyens sans culture dont on pourra aisément abuser, des crétins diplômés, de crédules auditeurs de Jeff Fillion formés selon les programmes d'inconscients assassins de la langue du ministère de l'Éducation.

Le cauchemar.

Mais atoucas, espérons quand même que je m'ai trompé. Genre.