Desjardins

Suivez l’Guilde

Chez Julie Snyder inc., on fabrique des vedettes en direct à la télé. Fastueux gala de présentation, mamans qui pleurent, jeunes femmes en fleur et tutti quanti.

Pendant neuf interminables semaines, on suivra cette joyeuse bande d'aspirants au superstardom québécois, on les observera apprendre le métier. Cours de danse, de chant, d'expression scénique, d'éducation physique, etc.

Et si on avait oublié l'essentiel?

Un cours sur la gestion de l'égo avec René Angelil, par exemple. Ou encore, les relations avec les médias par Kevin Parent, les effets néfastes des psychotropes par Éric Lapointe et pourquoi pas quelques notions de stylisme avec Michèle Richard?

Ah, et j'oubliais le cours sur le syndicalisme et l'art, prodigué par le sympathique Émile Subirana, président de la Guilde des musiciens du Québec.

Vous connaissez la Guilde?

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Depuis l'automne dernier, ce syndicat qui a pour objet de défendre les droits des musiciens professionnels a décidé de s'attaquer au cheap labor qui mine les recettes de sa petite caisse: la musique alternative.

Fini les bands de garage qui jouent pour des pinottes, les pianoteux du dimanche qui échangent leurs services pour un plat de chips et une grosse Mol: la Guilde entend les mettre au pas, et puisqu'il est impossible de poursuivre individuellement ces parasites, c'est aux salles où ils se produisent que s'attaque maintenant le syndicat.

Ainsi, le débat qui faisait surtout rage dans la région métropolitaine étend désormais ses vénéneuses tentacules jusque chez nous, menaçant d'extinction la scène locale de Québec.

On ne peut faire autrement que de rester dubitatif devant les pratiques de la Guilde, qui semble reprendre les bonnes vieilles tactiques syndicales, du genre coups de 2 X 4 virtuels sur la gueule, pour imposer sa vision monolithique de la musique.

Son président, Émile Subirana, ne fait certes rien pour arranger les choses, conjuguant un profond mépris de la musique populaire à une arrogance peu commune, multipliant les manoeuvres discutables afin de bâillonner les plus récalcitrants.

En décembre, un quotidien montréalais rapportait qu'il a même offert de payer 50 $ par tête – puisés à même la caisse de la Guilde – à des musiciens d'un orchestre pour qu'ils viennent contre-manifester lors d'un événement organisé par Tous contre la Guilde, un organisme fondé par Simon Jodoin qui décrie les pratiques du syndicat et dont notre nouveau collaborateur, David Ruel, brosse un bref portrait cette semaine. Vous voyez le genre…

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Bien sûr, il peut paraître ridicule – voire carrément malhonnête – qu'un groupe de cinq musiciens se voie remettre une centaine de dollars, une caisse de bière et un coup de pied au cul pour une performance de deux heures sur scène.

Mais dans la réalité des musiques émergentes, et surtout dans celle des petits diffuseurs, il s'agit presque de mécénat, les groupes invités rapportant généralement très peu, parfois rien du tout. Ou alors on leur offre le prix d'entrée à la porte et les groupes agissent donc comme promoteurs, producteurs et gestionnaires de leurs propres spectacles, la scène leur étant alors prêtée.

Et le problème avec la Guilde est justement qu'elle est complètement décalée du réel, que ses règles s'appliquent facilement à des producteurs de télé, des orchestres symphoniques ou des jazzmen de bars d'hôtels chics, mais pas aux groupes de garage et aux chansonniers qui comptent sur ces petits diffuseurs pour prendre de l'expérience, et un jour, qui sait, rejoindre les rangs des grands.

Des grands qui, d'ailleurs, ne disent pas grand-chose sur le sujet.

Pourtant, que seraient devenues la plupart de nos vedettes de la chanson et du rock si elles n'avaient pas fait leurs premières armes dans les bars et les cafés? Où Garou aurait-il été découvert? Comment les Respectables auraient-ils bâti leur crédibilité? Où Daniel Boucher aurait-il bourlingué avant de trouver l'illumination dans le spleen des bars?

Car il n'y avait pas d'Académie des stars pour leur prodiguer de bons conseils sur le travail qu'ils font aujourd'hui avec succès. Que l'école des durs, de ceux qui en arrachent, qui titubent et qui tombent de temps à autre.

Une école que la Guilde cherche à fermer, ne laissant derrière elle que les enfants sages d'une pop délavée, tristes comme la pâle ribambelle de wannabes qu'on verra échouer à l'Académie.