"Ah toi, on sait bien, l'intello…"
L'insulte suprême! On préférerait quasiment se faire traiter de crétin tellement les pirouettes de l'esprit font figure de handicap grave de nos jours.
La faute à qui, au juste? À la démoniaque société de consommation, aux profs, aux jeux vidéo, aux médias débilitants qui favorisent les trois "s" du sang, du sexe et du sport? Et pourquoi pas la faute aux intellectuels, tiens?
Confortablement emmitouflés dans leur langue savante, de nombreux universitaires surspécialisés, qui sont parmi les derniers à s'arroger l'étiquette d'intello sans se faire garrocher des pierres, y ont certainement contribué. Étrangers au réel, ils ont malheureusement oublié l'élément humain qui compose cette même société qu'ils observent en vase clos. Leurs jugements, leurs études, ils les réservent trop souvent à leurs consorts: les seuls qui parviennent à lire, sans se faire un oedème au cerveau, les tartines masturbatoires de ces docteurs du cul-de-sac.
Et ça s'applique à tous les domaines, principalement dans l'art et les sciences humaines: conférence sur la transfictionnalité par ici, festival de la critique épistémologique par là, et pourquoi pas un marathon d'herméneutique tant qu'à se faire sauter le casseau?
OK, je sais que le savoir ne devrait pas souscrire automatiquement à une logique du plus grand dénominateur commun, mais quand les intellectuels s'élèvent en grands défenseurs de la connaissance, comme le dernier bastion de la pensée critique, ils me font bien marrer.
Quel intérêt peut-on trouver à prêcher dans un désert qu'on a soi-même asséché, préférant retirer du prestige de ses pairs que de participer à une entreprise de vulgarisation et de partage du savoir?
Ceux que j'entends se gausser ne sont pas les téméraires communicateurs qui pourront nous faire apprécier les vertus du néokantisme, nous expliquer en quoi la baraka en Afrique du Nord est "un concept polysémique dont le sens dépend des rapports entre les éléments structurels et conjoncturels qui renouvellent son contenu empirique dans l'action". Qui repoussera du revers de la main la surdétermination heuristique dans l'étude de la matrice langagière chez Mircea Eliade pour nous amener par des voies plus clémentes vers l'oeuvre de cet auteur?
Pas surprenant que les universités populaires et autres cafés philo voient le jour ici et là. Entre la psycho-philo-socio-pop de pharmacie et l'hermétisme du métalangage des universitaires, ils sont le dernier rempart d'un véritable partage du savoir, souvent menés par des exceptions qui confirment la règle: d'autres universitaires.
Ceux-là ne sont pas les pleutres qui cultivent l'abstraction pour mieux camoufler leur inaptitude. Ils sont de l'école des Hubert Reeves et Edgar Morin; ils n'élèvent pas au sommet des vertus l'utilisation d'un vocabulaire obtus, que seuls quelques barbus grisonnants et autres bibittes du post-doc socialement mésadaptés trouvent encore de bon ton.
Ils n'ont pas peur de sortir de l'ombre des tours de l'Université Laval, de s'exposer.
Un quotidien proposait d'ailleurs un dossier entier sur la question la semaine dernière: quelle est la place des intellectuels dans notre société? J'y ai relevé plusieurs choses passionnantes, la principale étant le ton employé par les auteurs, dont Hervé Fisher: neutre, sans formule alambiquée, sans contorsion inutile. N'importe qui sachant lire et maîtrisant un vocabulaire d'au moins 200 mots aurait pu comprendre. Ce qui n'en faisait pas des textes dénués de profondeur et de sens.
C'est d'ailleurs ce que tout le monde devrait chercher à travers les intellos: un sens. À sa vie, à l'économie, au couple, à la guerre, alouette.
Mais les guides se terrent dans leurs bureaux, décalés devant la tournure qu'a pris l'histoire, loin d'une plèbe pour laquelle leur élitisme ne traduit que du mépris. C'était quoi déjà l'expression dans la chanson de Roger Waters? Ah oui, the bravery of being out of range, "le courage des planqués". Pas besoin d'être docteur en métatextualité pour comprendre.
Mais d’où vient cette crainte absolue de l’intellectuel ?
Pourquoi en France et aux États-Unis l’intellectuel est-il considéré comme un acteur essentiel à l’intérieur des débats de société, et qu’ici, chaque fois qu’on entend parler d’intellectualisme sur la place publique est lorsque certains intervenants soulèvent l’ire face à l’intellectuel qui semble menacer leur statut de tenant du commentaire social ?
En lisant le billet de David Desjardins, je me suis fait le commentaire suivant : il n’est pas étonnant que des animateurs comme Jeff Fillion et André Arthur soient des figures publiques aussi populaires quand un journal comme le Voir, qui dans mon esprit est moins orienté vers la facilité, et son rédacteur en chef, qui lui semble l’être un peu plus, se positionne contre la recherche universitaire et la manipulation des concepts à un niveau plus profond.
Peut-être est-ce un sentiment d’infériorité qui anime notre ami Desjardins? Car chose certaine, la tendance chez certains intellectuels de se penser supérieurs est vraiment l’apanage d’une minorité de ce milieu (minorité souvent décriée par le reste de l’ensemble), et souvent celui des faux.
Mais bon, même si Fernand Dumont ou Roland Barthes ne sont pas des intellectuels à qui le titre d’icônes populaires est le plus souvent associé, je crois que leur place dans nos débats est tout autant justifiée. Et puis si la recherche post-doctorat n’intéresse pas Monsieur Desjardins, qu’il lise autre chose! Mais ce n’est pas parce que certains domaines de contenu sont trop compliqués pour lui que ce l’est pour tout le monde !