Desjardins

Superman en goguette

La propagande. Le terme à lui seul fait sourire. Qu'on pense aux "armes silencieuses" de la CIA, au bureau du film de Goebbels dans l'Allemagne nazie, à la culture de la désinformation en Union soviétique ou encore aux curés en chaire clamant que l'enfer est rouge et le ciel est bleu, la parade du viol des consciences nous semble révolue, surannée. Comme une photo couleur sépia ou une vieille paire de chaussettes qui sentirait la boule à mites.

Sournoise, rampante, la propagande est pourtant un outil de prédilection en ces temps de guerre. Un appareil bien plus dévastateur qu'un missile Tomahawk.

"À nous, on ne la fait pas", nous disons-nous, croyant que la multiplication des sources médiatiques permet à la vérité de ressurgir du mensonge.

Vous irez faire avaler ça à la famille d'Émile Genest dont les médias omniscients ont pu constater le décès avant même que les médecins ne le fasse, pas plus tard que dimanche dernier. Et si un le dit, c'est sans doute que c'est vrai, alors tout le monde a emboîté le pas, sans poser de questions, sans vérifier l'information. Pourquoi ce serait différent pour les autres nouvelles, moins "triviales"?

C'est ainsi qu'en 1990, la fille d'un émir koweïtien sanglotait devant les caméras de CNN en racontant qu'elle était infirmière dans un hôpital où des soldats irakiens avaient jeté les bébés de la pouponnière au sol. Un mensonge, un set up. Vous vous en souvenez? Tout le monde y a cru. La première guerre du Golfe, pour emprunter un lieu commun, c'était la revanche du gouvernement américain sur ses médias, 15 ans après que ces derniers lui eurent coûté toute crédibilité au Viêtnam. Pourquoi ce serait différent aujourd'hui? Une bonne recette, ça se reprend, et ça se raffine.

Dans cette seconde guerre du Golfe qui semble bien enclenchée, la propagande de la démonisation de l'ennemi est d'ailleurs plus importante que jamais. Pourquoi? Parce qu'il n'y a plus d'État concrètement attaqué, parce qu'elle justifie l'injustifiable, elle confère une caution morale à un projet de guerre qui n'en respecte aucune, bref, elle laisse croire que c'est pour des raisons de sécurité nationale et pour sauver le bon peuple irakien de la misère crasse qu'on s'apprête à le massacrer.

Et ceux qui disent le contraire n'ont qu'à bien se tenir. La France qui, on le sait, ne s'oppose certainement pas à la guerre par pure bonté d'âme mais par intérêt économique, pâtit déjà de sa position antibelliciste. La chute libre de ses ventes de produits alimentaires en témoigne, alors que les producteurs vinicoles états-uniens en profitent pour se payer de monstrueuses campagnes de pub – toujours sur CNN – pour vendre leurs pinards made in the land of the free. Et je ne vous parle pas des french fries qu'on veut renommer liberty fries, idem pour les french toasts. Du délire patriotique primaire, de la propagande antihexagonale, doublée d'un opportunisme qui sent bon l'Amérique.

Même les bandes dessinées s'y mettent. Dans la dernière aventure de Superman publiée chez DC Comics, le super-héros natif de la planète Krypton est assailli par des journalistes qui considèrent que ses missions provoquent trop de dommages collatéraux dans la belle ville de Metropolis. "J'ai confiance que le monde saura constater mon indéfectible intérêt pour sa sécurité, et je vous assure que je n'utiliserais jamais mes pouvoirs pour autre chose que pour faire le Bien", leur répond-il.

Redevenu Clark Kent, Superman doute un peu quand même. En goguette, se faisant masser le dos par sa compagne Lois Lane, grisé par une longue journée à sauver l'humanité, il remet au goût du jour cette sempiternelle question: l'intention doit-elle primer sur le résultat?

Puis, ayant réchauffé le café de sa compagne de ses rayons oculaires, Superman se convainc qu'il a raison, qu'il agit pour le mieux-être de tous. "Peu importe ce qu'on en dit, tu es un trésor national, un sauveur", lui susurre Lois Lane à l'oreille. On croirait entendre madame W rassurant son mari. Convaincu de faire le Bien, Georgie aussi s'en va-t-en guerre contre les artisans du Mal, jouant le jeu du fanatisme, montrant les victimes des attentats comme des martyrs dont "le sang est doué d'un grand pouvoir de propagande", comme le disait le philosophe Bertrand Russell.

Mais il y a encore plus puissant que le sang, plus perfide, plus insidieux.

Une arme de la pensée que manipulent les médias états-uniens en taisant les manifestations pacifistes à l'échelle mondiale, que l'élite de l'entertainment affûte en muselant les artistes comme on l'a fait aux derniers Grammy's.

Vous l'aurez deviné, cette ultime arme de destruction massive des consciences, c'est encore le silence.