Desjardins

Doigt de vote

"Que dire de la politique? Y a-t-il des bons et des mauvais? Des qui mentent et qui ne mentent pas? Des bons et des mauvais gouvernements? Non, il n'y a rien que des mauvais et de très mauvais gouvernements."

Au lit, après le débat des chefs, je suis tombé par pur hasard sur ce passage d'un recueil de nouvelles de Charles Bukowski. Cet écrivain qui parvenait à extraire la beauté de la fange, le charme de la raclure et la poésie de la déchéance n'arrivait pas même à trouver quoi que ce soit de valable dans ce qu'il appelle élégamment "l'art d'enculer les mouches".

Mes amis avec lesquels je discute depuis plusieurs semaines de politique internationale dans le plus grand sérieux deviennent eux aussi de véritables boute-en-train lorsqu'on évoque les noms de Landry, Dumont et Charest. Comme autant d'aspirants au Cirque Shriners. Et moi, je suis sans doute le pire, le plus sadique, le plus méchant. Suffisamment pour suggérer au Larousse de mettre ma photo sous la définition du mot sarcasme.

C'est triste à dire, mais ça fait un peu plus de 10 ans que j'ai le droit de vote, et chaque fois qu'on remet ça, je ne peux m'empêcher de tourner l'expérience au ridicule.

Disons, même si c'est assez réducteur, que la machine me dégoûte, que nonobstant la bannière sous laquelle les politiciens se rangent, ils apparaissent tous comme le mal nécessaire de la démocratie, comme des loups assoiffés d'un pouvoir pour lequel ils déchirent leur chemise en public, sans pudeur.

Et tout ce théâtre me pue au nez. Comme le soporifique débat des chefs de lundi. Qu'y avez-vous appris?

Que les péquistes traînent derrière eux cette nauséabonde odeur de l'engagement qui pourrit, stâllé dans le virage à droite; que les libéraux ressemblent à des dinosaures qui auraient vampirisé le programme de l'ADQ et invité quelques jeunes pour élargir leur profil démographique; et que les adéquistes, quant à eux, ne sont rien d'autre qu'une bande d'atroces opportunistes qui, par hordes, se sont rués vers la manne que représentait jusqu'en décembre dernier ce parti de réactionnaires aussi terne que son autobus de campagne? Non, tout cela, vous le saviez déjà.

Je n'y crois pas, à rien. Je suis ce que vous pourriez appeler un nihiliste de la politique québécoise. Je ne crois pas que les libéraux aient entendu quoi que ce soit, sinon l'appel des sièges qui leur font face, pas plus que je ne cautionne l'autocongratulation fétide des péquistes ou la vision néolibérale du changement de l'ADQ. Je suis convaincu que les députés que nous élisons n'ont aucun pouvoir concret, que les politiciens, même s'il s'agit d'un cliché, sont les pantins d'une machine dont on ne soupçonne même pas les abominables intrigues. Là haut, dans le bunker du H en forme de calorifère, dans la future tour de verre de la Caisse de dépôt, au sommet d'un building d'Hydro Québec.

Et comment voulez-vous faire confiance à ces clowns qui jonglent avec notre fric?

Prenez Jean Charest pour qui, on le sait, être à la tête du gouvernement du Québec ne serait autre chose qu'un prix de consolation. Son lapsus d'il y a deux semaines ("quand je serai premier ministre du Canada") en faisait foi, à nouveau. Et que dire d'un chef de parti comme Bernard Landry qui semble ne travailler que sur son image, troquant ses hideux vestons double-brest pour des complets style Hugo Boss, paradant sa pornstar du bel âge, mais conservant son attitude première: une insupportable arrogance et un paternalisme fallacieux au possible. Et puis Dumont, à qui on peut à tout le moins donner le crédit d'avoir élevé le débat au-dessus de la question nationale, il est déjà par terre, le teint livide, alors autant le laisser s'y prélasser pour quatre autres années.

Et moi qui croyais que nous aurions droit à la plus excitante campagne électorale depuis des lustres… Mais on a encore réduit le discours à des données simplistes, à des images enfantines. On s'est tenu dans ses positions, bien installé dans sa tranchée, à l'abri des bombes à fragmentation qui ne sont jamais venues en ce soir de débat. Pas une idée nouvelle, quelques attaques qui avaient du chien dans une mer d'ennui. Voilà.

Le meilleur débat depuis des années, disaient les analystes. Putain, je suis bien content d'avoir raté les autres.

***

En désaccord avec ma chronique de la semaine dernière, un ami me disait justement: "Tu ne peux pas analyser le droit international avec un regard humaniste, ou même réaliste. C'est impossible, c'est de la politique, ça n'a rien à voir."

Vlan dans les dents! La politique, ça n'a rien de vrai, rien d'humain. C'est l'art du mensonge et de la supercherie, le résultat du travail de publicitaires sans imagination, de tractations interlopes. C'est des poignées de main, de la vapeur dans l'air, de la compromission à n'en plus finir, de la séduction sans lendemain. Comme un gars qui raconte à une fille qu'il va l'aimer pour la vie avant de se sauver en courant avec ses rêves et son innocence le lendemain matin.

Je préfère encore donner mon vote au Bloc Pot, au Parti vert ou à l'Union des forces progressistes qui eux, au moins, ne sont pas pervertis par la machine à vouloir le pouvoir; qui avancent des idées auxquelles ils adhèrent sincèrement, qui font de la politique sans spin doctors, mais avec conviction.

Et tant pis si vous pensez que, ce faisant, j'annule mon vote, au moins, moi, j'aurai la conscience tranquille. Et vous?